22 octobre 2006

Le fort intérieur ...

Notre sentinelle est parfois réveillée par un bruit, un mouvement inattendu... alors ça s’agite dedans... avant de décider s’il faut sortir ...

Salamanque, 030306

C’est ce qui arrive devant certaines situations... on aurait préféré les éviter, être ailleurs, tourner le dos, mais on est là, on a vu, entendu, et on est bien obligé, dans son for intérieur, d'organiser un petit conseil de guerre, d’étudier les forces en présence et de décider si on va y aller, dénoncer, ou passer son chemin...
La première barrière qui ralentit l’action, c’est la délation, on se retranche facilement derrière: pas ça, pas moi, et on s'éloigne, outragé...

Prague, février 2006

Mais la question reste, nous ratrappe et tourne, lancinante...car, une fois écartée la délation, évidemment condamnable et méprisable, que faire, que dire... il y a probablement un point critique à partir duquel on réagira, on fera face...

Prague, février 2006

... mais en attendant, c’est le moment des petits calculs, des arbitrages entre ce que ça peut coûter et ce que ça va rapporter, l’évaluation du risque...
Pourtant, de l’extérieur, l'examen est relativement simple et on connaît bien la leçon: la loi, dans une démocratie, fixe les règles et définit les limites de ce qui se fait et doit se faire. Elle est l’expression de la volonté générale et on doit la respecter et la faire respecter. C’est notre obligation et notre responsabilité.

... encore faut-il disposer d'une monture fière et vaillante et d'un parasol solide...(Vienne, février 2006)

... entre la théorie et la pratique, il y a un pas, qui parfois ressemble à un grand saut au dessus du vide...

La solution réside peut-être dans l’attitude adoptée par Bartleby qui mesure la marge de manoeuvre à l’aune de ses impressions: “ceci ne me convient pas”. Voilà sa règle. Dans ce refus, ni jugement, ni abandon, il ouvre la possibilité de dire: “moi, je trouve que ça ne va pas, je préfèrerais que ce soit différent”. Cette posture, qui refuse le rapport de force, sape les fondements du conflit à l’intérieur comme à l’extérieur, désarmant...

New York, ONU, 250306
Remarques
D'une part, ce propos ne concerne que les aspérités du quotidien, les affaires courantes, celles qui ne relèvent pas du sérieusement grave. D'autre part, le fait de ne pas faire ou de ne pas dire n’est qu’une illusion. En ne faisant pas et en ne disant pas, je fais et je dis quand même: immobile et muet, je cautionne, accepte, participe ... jusqu'où, jusqu’à quand, et au nom de quoi? ... tourne, vire ...

Bilbao, Musée Gughenheim, mars 2006

20 octobre 2006

La place de l'ange...

Santorin, juin 2006

Parmi les phénomènes curieux auxquels nous sommes confrontés (je parle de micro-phénomènes qui sont à l'escalade ce que sont les quelques pas que l'on fait en équilibre sur le rebord du trottoir), il y a les petites manies et superstitions qui nous obligent à faire des gestes insolites: compter les pas, éviter certaines matières et couleurs, faire ou ne pas faire un signe, un geste, dire ou ne pas dire tel ou tel propos en certaines circonstances, comme s'il y avait un monde parallèle dont il ne fallait pas déranger l'ordre, ordre que nous connaîtrions sans l'avoir appris, de manière intuitive ... celui des anges.


Pessoa, considérant la différence affreuse entre l'intelligence des enfants et la stupidité des adultes, pense que nous sommes accompagnés dans notre enfance par un ange gardien, qui nous prête sa propre intelligence astrale et qui, par la suite, plein de regrets peut-être, mais contraint d'obéir à une loi supérieure, nous abandonne et nous laisse ce picotin qui est notre destin.

Peut-être gardons-nous le souvenir de ce passage de l'ange?
Prague, fevrier 2006
J’ai longtemps cherché une autre explication à ces attitudes irrationnelles mais très humaines...
Rome, avril 2005
Dans la Grèce antique, le divin occupait tout le champ du possible, contrairement aux chrétiens où le divin occupe tout le champ intérieur. (Personne ne songe aujourd'hui à voir son intervention dans le déclenchement des guerres, des épidémies et des tremblements de terre, domaines où justement les grecs auraient vu un message des dieux).
Sous cet l'éclairage singulier, le réel et le monde extérieur tout entier, des astres aux fourmis, est le champ de l'expression du divin, qui intervient sans cesse sous les formes les plus imprévisibles. Tout est ainsi chargé de sens, tout est porteur d'un message qu'il convient de savoir déchiffrer . Ce langage infini, incommensurable, vertigineux que l'univers nous adresse exige, pour être décrypté, un tableau des correspondances. La grammaire de ce langage énigmatique, toujours voilé, réside dans ces gestes et ces paroles insensés qui répondent à des impératifs obscurs et opaques mais cruciaux et vitaux...


Nous croyons avoir oublié cette manière d'être au monde...

Prague, février 2006

... mais c'est dans ces espaces indéfinissables, flous et brumeux que s'engouffre la cohorte des prophètes, gourous, diseurs de bonne aventure et autres lecteurs d'avenir...

.

17 octobre 2006

L'ile de glace, récit ...


Avant, je pensais que le carnet de voyage ressemblait à ce qui va suivre... depuis, je sais qu'il y a, entre les lignes et les images, des espaces dans lesquels on peut s'introduire et faire sa petite cuisine. Mais à l'époque, j'étais tout content de montrer ces photos et de rapporter ce que j'avais fait sauf que ... entre l'expérience vécue et le récit, difficile de dire ce qui domine...

Pitre 1

Sortir, pas si facile...



....la première fois...l'Islande

On décide sur un coup de tête, défi qu’on (se) lance, on le dit un peu partout, on finit par y croire, ne plus pouvoir reculer sans perdre la face et un matin, ç’est le jour du départ.

A partir de là, les liens sont (provisoirement) coupés, l’équilibre quotidien déstabilisé, le coeur et le corps deviennent incertains, on tangue un peu, sorte d’ivresse entre euphorie et désespoir...

On voyage pour aller à la rencontre de celui qu’on est devenu,
pour comprendre, un peu, le monde auquel on est tant habitué. On sort, pour prendre l’air, bien sûr, mais aussi pour jeter un oeil sur toute cette histoire, la notre ...

Compte-rendu de l'expérience:
Voyage en Islande, juillet 2004.
( Le texte a été rédigé quotidiennement pendant toute la durée de l'observation)

Jour 1: Paris/Reykjavik

11h30 Roissy Charles de Gaulle
Voilà, ça y est, je suis sorti de moi-même et je me demande qui est là, pourquoi il est là...
Seul, étranger, inconnu, sans repères, arraché au quotidien, comme perdu, absent...

Je cherche une poubelle pour me débarrasser de mon livre ”Le sérieux de l’intention”, pénible, trop lourd, encombrant, inutile...
.../...
pizza et tarte aux pommes dans le sous-sol du terminal 1. Je me sens comme veuf, pauvre, chômeur, étranger ... privé d’existence, effacé du monde , un insecte , une tâche.

Embarquement.
Un bel et grand aéroplane... arrivée

Pitre 2
L'arrivée...le vrai départ

Les premiers pas...


Pas un arbre , juste des cailloux bruns, nuances de noir clair, obscur...
Peu de relief à perte de vue, très loin, des collines, gris sur gris.
Désolation dehors, désolation dedans.

Minibus pour Reykjavik.
Ville neuve, artères perpendiculaires, décor trop vite construit entre deux cataclysmes, trottoirs propres:les chiens sont interdits.
On pose les sacs. Chambre 4.
Je marche au hasard, de nulle part à nulle part, j’erre
.../...
Buffet de poissons.
Je rentre, au soleil il est toujours 15 heures.
Pas de volets; longue sieste en perspective.


Jour 2
Réveil 00h30, en sueur, il fait jour, à la télé il y a Muse.
Réveil à 5h30. Il fait jour.
...douche, l’eau chaude sent l’oeuf pourri. Géothermie.
.../...
Sur la piste, pause:


le volcan Hakla: feu et glace, noir et blanc, neige et cendres, terre de contrastes.
...un paysage d’un autre monde (celui d’avant, celui d’après, celui d’ailleurs ?) s’installe autour du bus.
...comme si on avait retourné notre monde ( vision de l’interieur passé à l’extérieur) , éclairage faible et vague, diffus.
C’est à la fois le début de la Terre et la fin du monde.
Arrivée au camp. Landmanalauger ...marche.


.../...
Vers beaucoup plus tard, il fait jour, on mange.

Jour 3
...lever, personne. Température extérieure: 8°environ, temps brumeux, humide, vent fort.
Un bain: piscine naturelle d’eau chaude: bassin où convergent deux rivières, une d’eau froide, venue d’un glacier et une d’eau brûlante, sortie de la terre. On avance dans l’eau tiède, on s’allonge et on fait varier la température de l’eau en s’approchant ou s’éloignant d’une des deux sources.



9h30. Départ sous la pluie. Massif de Torfajökull. Sources chaudes de Storihver, montagne Brennisteinsalda, coulée de lave de Laugarhaun. (Un vent glacé et violent nous accompagne toute la journée. On monte, on descend, on trotte sur des cendres, dans la neige, dans la lave, sur la mousse, le sol est rouge, jaune, noir, blanc, vert... C’est vraiment inattendu, austère, presque hostile ...
16h. Répit, allongés dans la mousse, on regarde le temps passer à l’abri du vent. on somnole, fatigués. Au loin, quatre cygnes.

On rentre.


Jour 4
7h30 Réveil.Montée jusqu’au sommet, montagne Blàhnùkur.


On redescend, retour au camp, on mange, on démonte , on range, on installe tout dans le car... piste chaotique, un autre bout du monde, fin de piste. ... puis à pied dans la faille de feu. C’est long et monotone, de la cendre, tout est recouvert de poussière noire.



...mal au ventre, je balance entre l’euphorie du matin, c’est vraiment extraordinaire et le découragement, plus jamais ça.
... cascade d’Ofaerufoss , les collines volcaniques jusqu’au fleuve Skaftà.
Épuisant.
19h30 On arrive à Skaelingar, bivouac.
repas: des truites sauvages achetées le matin à un pêcheur: réconciliation avec le monde.

Jour 5
Toilette dans la rivière ( 5°), KK dans la mousse, papier brûlé au briquet...(retour aux joies simples.)


9h30. Départ, on longe la rivière Skaftà jusqu’aux cratères de Kambar, puis on contourne les cratères d’Uxatindar. On marche , on marche, on marche...

22h. Toujours au bivouac


Pitre 3
L'eau, la glace...


Jour 6

6h30 Réveil dans la brume.
Petit bain dans la rivière pour retrouver ses esprits. L’eau arrive directement du glacier, ravigoré en quelques instants...
Le temps que je croyais définitivement arrêté s’est enfin remis en marche,...sans doute tenir, puis revenir , retrouver les habitudes, reprendre sa peau.
.../...

remarques (prosaïques)

1) Sympa:
-manger du saumon à tous les repas
-marcher en pleine nature pendant des heures
-changer de chaussettes
-prendre une douche de temps en temps

2) Pas sympa:
-manger des trucs plus trop frais qu’on trimballe depuis plusieurs jours
-remettre des chaussettes sales
-pire, remettre des chaussettes sales et mouillées
-avoir mal quelque part ( dos, ventre, pied, âme...)
-pire, avoir mal partout
-rester discuter des heures le soir
-pire, rester sans rien dire
-avoir emporté un livre nul
-monter et démonter des tentes à tout bout de champ
-..... tout ce barda
...


On démonte, rassemble, protège tout et on s’en va, destination Holaskjol.
Formations étranges de lave, rivières, cascades...le lot quotidien d’ un pays inhabitable.
On passe 2 gués .../...
Arrivés de nulle part , on monte, range, installe et prépare.



Jour 7
Marche au bord de la rivière d’ Ofaera jusqu’au “ lac du cygne”
Deux reflexions à méditer:
Le guide:” En Islande, tout est possible, rien n’est normal.”
Moi: “ Les affaires mettent quelques secondes à se mouiller et un temps infini à sécher”.

À peine arrivés, on repart: de nouveau démontage, rangement, portage...chacun est, silencieux, efficace ...
Dans la brochure, il était noté “ un petit coup de main est toujours bienvenu” (page 5)..


Jour 8
Skaftafell, le parc national, au pied du plus grand glacier d’Europe.

Jour 9

Jökulsàrlon
Les lacs glaciaires. comme un enfant, émerveillé, fasciné ...

Jour 10
Temps maussade : pluie, brouillard...
Randonnée, on patauge, on redescend, on traverse les terres devastées par l’explosion du glacier en 1996 ( éruption volcanique, fonte de la glace, crue torrentielle arrachant tout et laissant la plaine désertique, pendant longtemps les 4x4 ont roulé au milieu d’icebergs qui s’étaient détachés ...)



Loi 1: après 8 heures de marche sous la pluie, on peut disserter sur les différentes nuances du mouillé, de l’ humide, du trempé, détrempé et imbibé.
Loi 2: il faut, à l’aide d’un sèche mains électrique, type toilettes de station service, plusieurs heures de patience infinie, pour réduire la quantité d’eau absorbée par les chaussures et les vêtements...


Pitre 4
Vue sur mer...

Sur la plage, abandonné...



Jour 11
Lever 4h45
Il fait meilleur, je sors tout, j’étale, je secoue, j’étends dans les arbres, sur la tente, par terre, sur des sacs, je guette les rayons du soleil et le sens du vent pour tout déplacer, arranger différemment, j’aère, je déshumidifie, ...


On repart. Tout ranger, espérer que ces gros nuages noirs et menaçants qui sont réapparus vont attendre encore un peu avant de gronder...
Tout est dans le car...départ pour Vik.



Arrivée à 13h40
De nouveau, tout sortir, tout porter jusqu’à l’emplacement, installer, monter pour la dernière fois, devant une falaise envahie de mouettes, bruyantes, extrémement.
Pour la première fois de ma vie, sieste avant de manger.
15h45, grignotage puis balade au pied des falaises de Reynisfjall.
La plage est magnifique, le sable est noir.


..ça doit être chouette l’été...

Montée, observation des macareux; par centaines, les pattes bien serrées, en arrière au décollage, ils battent très rapidement des ailes en vol; pattes écartées et sur l’avant à l’atterrissage, anchois au bec... Grosse activité aérienne.

Au retour, allongé sur le sable froid , je suis des yeux les gros rouleaux, je m’attarde.



Jour 12
Réveillé à 5h30, douche, la malheureuse serviette que j’avais réussi à conserver propre rate le crochet destiné à la maintenir à bonne hauteur et s’étale à mes pieds dans un jus noirâtre qu’elle absorbe instantanément. Quand je la ramasse, désabusé, elle est lourde, sale et froide.../...
rando.
approche longue, on monte, on descend dans les landes de Fagradlasheiôi, de 9h à 18h, plein les pattes.
À l’arrivée, il pleut, fort.
Récompense: 2 gigots au BBQ.

Jour 13

Les falaises sous la pluie, les macareux... on rentre, on range, on jette, on attend le car. C’est fini. Retour à Reykjavik. On passe devant la cascade de Skogafoss,..., crême glacée, gare routière, minibus et hôtel, resto, rideau.

Jour 14
Réveil 4h15
Longue journée pour rentrer
Arrivé à la maison à 21h15.

- Fin des relevés -

11 octobre 2006

Les petits cailloux ...

(musée archéologique, Athènes, juin 2006)

Encore des mots qui nous entraînent, nous promènent...
Sur le chemin, on découvre de temps en temps, au hasard des pas, des petits cailloux qui attirent le regard, couleur, forme, densité. On les prend dans la main, on les fait jouer entre les doigts, on les met dans une poche et on continue à marcher. Ils contiennent et conserveront, concentrés, cette journée, ce paysage.

Les enfants, sur la plage, ont bien compris l'enjeu. Ils passent des après midi entières le nez dans le sable à chercher et collectionner ces détails du monde, cailloux ou coquillages, qu'ils nous présentent ensuite, main grande ouverte pour nous demander:" et toi, lequel tu préfères?"
Plus tard, ils les préfèrent en bague, en collier ou en médaille, morceaux d’éternité dont on se pare, fragments qui résistent au temps ...

Les prescriptions de Char,minérales et définitives, forment un chapelet qu'il faudrait, comme le font les grecs, faire tourner en permanence ...

Ne t'attarde pas à l'ornière des résultats. Tiens vis à vis des autres ce que tu t'es promis à toi seul. Là est ton contrat. Hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux, de rebellion, de bienfaisance. Enfonce-toi dans l'inconnu qui creuse. Oblige-toi à tournoyer. Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. Imite le moins possible les hommes dans leur énigmatique manie de faire les noeuds. Donne toujours plus que tu ne peux reprendre. Et oublie.Ne te courbe que pour aimer.

10 octobre 2006

Lettre et l'être ...

J'aime les raisonnements négatifs, qui soustraient à la réalité pour saisir le manque; ainsi il m’arrive d’imaginer un monde sans romans, poèmes, musique et peinture... reste l’ effroi, le froid...

Sans les mots, le monde devient muet, absurde...
Mais tous n'ont pas le même statut, la plupart servent juste à papoter avec le quotidien et bidouiller avec la technique ... seuls certains saississent et entaillent l'espace et le temps, dévoilant des micro-déchirures obscures ou lumineuses...

Le relevé des fragments suivants est purement fortuit. J'ouvre au hasard mes vieux carnets, certains ont vingt ans et je pioche. Devant ces textes, ce n'est pas le temps qui est suspendu, mais l'être, mis à nu par le mot...

Rapprochements
D'abord l'austère Char habillé de gris et légèrement penché suivi par le désespéré Cioran, en bleu, bien droit.
Un mur inexorable, le mur qui se rabat derrière soi, où nous entendons sangloter un captif privé d'air; le visiteur conciliant d'un de nos jours négligés.
Ce matin, après avoir entendu un astronome parler de milliards de soleils, j'ai renoncé à faire ma toilette: à quoi bon se laver encore?
La quantité de fragments me déchire. Et debout, se tient la torture.
Ces idées qui survolent l'espace et qui, tout à coup, se heurtent aux parois du crâne...
Il semble que l'on naît toujours à mi-chemin du commencement et de la fin du monde. Nous grandissons en révolte ouverte presque aussi furieusement contre ce qui nous entraîne que contre ce qui nous retient.
L'illusion enfante et soutient le monde; on ne la détruit pas sans le détruire. C'est ce que je fais chaque jour. Opération apparemment inefficace, puisqu'il me faut la recommencer le lendemain.
L'intensité est silencieuse. Son image ne l'est pas. J'aime ce qui m'éblouit puis accentue l'obscur à l'intérieur de moi.
Après tout, je n'ai pas perdu mon temps, moi aussi je me suis trémoussé, comme tout un chacun, dans cet univers aberrant.
Nous contenons de l'insecte dans les parcelles les plus endurantes de nous-mêmes! Suppléant qui réussit où nous échouons.
Cette foule d'ancêtres qui se lamentent dans mon sang... Par respect pour leurs défaites, je m'abaisse aux soupirs.


07 octobre 2006

Viv'lé vakanssss !!!


Au retour des vacances, on ne sait pas trop quoi faire de tout ce qu'on a vu, pensé, ressenti... La plupart du temps, on passe à autre chose, on a consommé. Cette fois, les choses se sont passées un peu différemment.

Au début, ça a commencé comme ça:
Comme tous les nigauds, j'ai cédé à la tentation et j'ai en permanence, dans la banane ou dans la poche, l'indispensable appareil photo numérique, que je sors à tout bout de champ pour mitrailler n'importe qui et n'importe quoi.
Petit à petit, c'est même devenu l'objectif principal (après tout, ce qui permet de se souvenir n'est pas vraiment le monument en gros plan, celui de la carte postale, mais tout aussi bien et peut être même plus ce qui se trouve à côté, obligeant à faire un effort, à reconstituer à partir d'un fragment, le reste du vu et vécu).

Alors, progressivement, le choix des plans s'est opéré plus en fonction de critères pratiques: j'ai soif, je bois un coup, j'en profite pour faire des clichés, j'attends les autres, je prends un chewingum dans la même poche, ... enfin rien qui permette d'établir une théorie esthétique, de respecter la lumière... tout ce genre de trucs...
Toujours est-il qu'à la fin on se retrouve avec des centaines d'images dont l'intêret est loin d'être primordial, mais comme on n'aime pas jeter, on empile tout ça sur l'ordi et on rejoue le cauchemar des séances de diaporama de notre enfance auprès des rares personnes qui ne peuvent pas refuser, se défiler ou s'échapper: les amis (les vrais) et la famille (très proche).
Ce qui génère, tout bien considéré, un sentiment de frustration voire d'écoeurement pour les plus sensibles.Un vrai gachis.

A la fin de ce voyage, j'ai donc, tout installé et tout regardé. Comme le hasard était pour beaucoup dans les moments pris, les photos ne répondaient pas à l'attente que l'on a en général: "Ah, là, tu vois c'est le machin du roi je sais plus comment" (on se souvient rarement de tout) "et là, c'est le jour où, tu vois, c'était trop marrant" (là, tout ceux qui participaient à l'action parlent en même temps , se rappellent des tas de détails qui les renvoient à d'autres situations où y'a pas les photos mais bon, et toi, l'ami, le frère, tu souffres, et si c'est l'heure de l'apéro, tu t'empiffres de chips (même si tu sais que c'est pas très bon et que tu vas regretter) et tu bois pour oublier, et tu te promets que la prochaine fois , tu résisteras. Le seul point positif qui fait que tu restes, que tu ne sombres pas dans un profonde dépression, c'est la promesse d'une éventuelle vengeance...

Tout ça pour dire que cette fois ces images avaient un parfum d'étrangeté. Alors je les ai regardées autrement et j’ai cherché à leur donner un sens, à dévoiler ce qu’elles pouvaient cacher, masquer. Bien sûr tout ce qui suit relève de la plus pure fantaisie et toute ressemblance avec...


Fiche technique :
Décor: Italie du sud, Naples, Pompéi, Capri, la côte amalfitaine ...
Situation: petit trek facile, 15 participants , guide locale. Mai 2006.
(les figurants sont consentants et bénévoles)

Tout a vraiment commencé avec cette photo:



Remark n°1
Quand les corps sont fatigués, après avoir été longtemps mis en mouvement, ils prennent des positions inattendues, présentent une densité particulière, s'enracinent, s'accrochent au sol et leur immobilité s'intensifie... ils ressemblent alors à des santons qu'une main invisible aurait installé dans une crèche improbable...

A partir de là, je n'ai plus resisté ...

Remark 2 : Quand le multiple devient un

Parfois, nous perdons notre identité et nous nous transformons en un monstre à plusieurs têtes.
Notre propre corps s'intègre alors à celui des autres pour former une seule entité, le corps social...

Illustration1:
l'entité se prépare à manger,le corps est aligné...



Illustration 2:
l'entité observe son environnement, le corps écarte ses membres,
les paires d'yeux contrôlent toutes les directions.



Illustration 3:
l'entité se déplace, le corps constitué occupe de manière rationnelle l'espace disponible...



Illustration 4
La séquence suivante montre la disparition de la volonté individuelle au profit de la volonté collective.
Le corps social, par la pression qu'il exerce sur chacun de ses membres les entraîne dans un même mouvement à adopter des postures conformes...

De l'extérieur, on ne comprend pas bien ce qui se passe, un peu, comme on s'interroge sur les motivations des fourmis...









Une fois parti, difficile de s'arrêter...

Remark 3 :les signes d’appartenance

Pour appartenir à une société, s’intégrer dans une communauté, l’individu est souvent prêt à adopter une parure commune comme signe de reconnaissance. Dans les images suivantes on peut reconnaître différents types d’artifices qui renforcent la cohésion et l’identité du groupe.

illustration 1


Ici, rompant radicalement avec sa tribu habituelle, chaque individu se présente paré d’une série d’artifices qui crée d’une part une indifférenciation, une dépersonnalisation et d’autre part une ressemblance, une nouvelle identité. Pour mieux appréhender ce phénomène, on peut le penser négativement. Chacun éprouverait, en effet, un sentiment de rejet envers celui qui ne respecterait pas ce nouveau code et se présenterait dans son costume traditionnel.

Illustration 2


Le phénomène mimétique. Il est facile de reconnaître un autre soi-même et de l’estimer à sa juste valeur quand nous partageons la même image. (de soi).

Comme il est rare qu'on se trouve soi-même sur les photos, les autres peuvent l'objet de tous les analyses...

Remark 5: Les autres

Dans le groupe, tous les éléments ne sont pas équivalents, l’unité relève d’une agrégation: les préférences de chacun (partir en vacances, rencontrer des gens, monter sur le Vésuve, voir Capri...) s’agrègent pour permettre une action collective. En observant les comportements de chacun des membres de la collectivité on voit bien vite ces différences .

En voici 2 illustrations.
Dans ces situations l’individu adopte une posture inhabituelle, en rupture avec le reste du groupe. Il n’y a pas de véritable transgression, l’individu ne remet pas en question la norme mais exprime simplement sa différence.

Illustration 1

L’interprétation d’un tel comportement est difficile à saisir...

Illustration 2:

Ici,au contraire, le personnage , par son attitude sans ambiguité, exprime sa différence et révèle la nature de son désir.

On pourrait disserter sans fin sur la psychologie de chacun, les interactions entre les membres du groupe, les relations de pouvoir ... mais les vacances ne durent qu'un temps et, bientôt, c’est le départ ...

Remark 5 : La séparation
Ce sont les corps (substance présente) qui se mettent à parler, les esprits sont déjà ailleurs, repartis chez eux. Les corps reprennent leur autonomie, ils se détachent du groupe qui les rassemblait jusqu’à présent.. Pour manifester ce changement, ils s’installent sur des lignes imaginaires qui définissent des frontières à franchir pour revenir, retourner dans leur vie d’avant.
Illustrations:




Et voilà, c'est fini.
On rentre chez soi et, sur le chemin du retour, le quotidien à venir efface nos traces et nous remet dans nos chaussures de ville...

... mais, le meilleur reste dorénavant à venir. Arrivé à la maison, les photos vont se mettre à raconter des tas d'histoires...