30 décembre 2006

Mode d'emploi...

Athènes, il ya juste six mois...

La date impose le bilan. Ecrire régulièrement est devenu une contrainte et un plaisir. Le texte impose ses mots. C'est une découverte étonnante. Progressivement, le post a pris une forme particulière et m’oblige à la respecter. Comme un artisan, je dois suivre une règle stricte de fabrication.
D’abord, avoir un début d’idée, quelque chose à dire quoi, sans sujet, pas d’objet, juste un artifice, un simulacre. Ensuite, une image pour faire écho, qui va résonner et créer un lien avec l'idée. Il reste à choisir une direction et les relier. L’idée a un caractère général, intemporel, qui vise au système, à l’organisation du monde, au delà des mots. L’image est toujours singulière, instantanée, elle provoque l’émotion, le sentiment, en deça des mots.
Attacher les deux, en papotant comme si de rien n’était, voilà la modalité d’écriture.

Remarque
Le langage contient le monde et l’humanité toute entière.
Enlevons tous les mots, que nous reste-t-il ? Les cris, les grognements...
La soustraction a toujours des effets spectaculaires. Si, demain, on retirait tous les mots, nous continuerions probablement à nous agiter quelques temps sur notre lancée avant de perdre pied. La maladie d'Alzheimer illustre assez bien cette hypothèse. Certains ne se rendraient même pas compte du changement. Les sportifs, et c'est là leur force finalement, continueraient à galoper en tous sens, taper dans la balle et présenter les autres tours d'agileté patiemment appris. Les supporters ne verraient pas non plus la différence...

Question
Pourquoi les mots permettent-ils l'humour, la poésie. Que se passe-t-il donc quand ils franchissent le sens commun pour exprimer autre chose, agir directement sur l'émotion, créer des failles et les combler de rires et de larmes?

28 décembre 2006

Raccourci...

En rangeant machinalement mon bureau virtuel, les deux photos sur lesquelles j'apparais distinctement se sont rapprochées, hasard du monde binaire, et je suis resté interdit.



“Dieu m'a créé pour être un enfant, et m'a laissé enfant toute ma vie. Mais alors, pourquoi a-t-il laissé la Vie me frapper, m'enlever mes jouets et m'abandonner dans la cour de l'école, froissant de mes mains frêles mon tablier bleu, tout sali de larmes ?..”

Ce rapport au monde, un peu pathétique chez Pessoa, est un trait naturel fondamental de l'espèce humaine. Jamais achevés, nous gardons à l’état d’adulte, des traits de l’enfance. Nous arrivons au monde non terminés et une grande partie de notre processus de maturité se fait à l’extérieur du ventre maternel et au sein de la communauté humaine. L’élevage humain a un rôle important dans le développement de notre cerveau. Ce qui au départ est une fragilité extrême devient un avantage considérable par la suite, puisque la maturation peut alors comporter la transmission de la culture. Notre capacité d’étonnement, notre curiosité, dite naturelle, notre ouverture au monde, notre absence de spécialisation sont les traits de notre inachèvement.
Notre société encourage cette immaturité mais nous laisse parfois comme le pauvre petit Fernando.

Remarque:
"Néotonie"... c'est le terme utilisé par les gens bien élevés pour aborder cette question...

21 décembre 2006

Les tempi...

En fonction du lieu dans lequel on apparaît, on va devoir apprendre une certaine danse de la vie. La culture dans laquelle on habite est déterminante pour nous faire prendre le bon rythme et garder le tempo ...

Premier tempo, hors du temps...

Dans les premiers temps, le monde, à l’image de notre petite planète, tourne indéfiniment. Les saisons et les activités sont immuables et dictées par la nature. Pas d’histoire, pas d’écrits, juste la transmission de gestes. Le temps est circulaire et l’éternité est le quotidien. Le bout du monde est au bout du champ, on y danse aux pas de l'âne.


Deuxième tempo, quatre temps...

Dans les temps suivants, le temps se déroule. Enraciné dans le passé, déterminé dans le présent, projeté dans le futur. C’est le temps de l’écrit, de la transmission. Le temps est linéaire et chaque âge a sa durée, enfance, adolescence, maturité, viellesse. Le bout du monde est de l'autre côté de la frontière. On y danse au rythme de l'automobile, moteur à quatre temps.


Troisième tempo, instemps...

Dans la fin du temps, l’instant prend le temps en otage. Le temps n’a plus de sens. Il ne se situe plus. Il se révèle dans la simultanéité des images et des mouvements. Plus de passé, pas de futur, éternel présent. L’âge et la durée disparaissent. On est jeune ou on n'est pas. Le monde n'a plus ni commencement, ni fin. On danse en restant surplace...


Remarque:
Les trois temps coexistent sur notre petite planète. Ils ont des conséquences considérables sur notre vision du monde, notre manière de résister, notre équilibre général...

16 décembre 2006

Gagne-pain...

Comme tout le monde, je travaille de temps en temps.
La société qui organise mon activité est très exigeante. Il faut reconnaître que mon boulot est très particulier: je suis dresseur de personnes de petite taille.
Je ne peux pas vous tout vous dévoiler, je suis soumis à un devoir de réserve mais je prends le risque de diffuser quelques informations sur cette étrange profession.
L'espace dans lequel j'évolue est clos, constitué à la fois de bâtiments froids et d'espaces extérieurs non aménagés. Les petites gens dont j'ai la charge sont déposées chaque matin par leurs propriétaires. Nous organisons alors une surveillance rapprochée même si le grillage qui entoure le local réduit la possibilité de fuite. Au signal sonore, les petites personnes sont rangées par taille et conduites dans des salles où commence véritablement le dressage. L'objectif principal est de les maintenir assises et silencieuses pendant plusieurs heures de suite. Il faut des années à un bon dresseur pour obtenir des résultats probants, mais jamais définitivement acquis. Il ne faudrait toutefois pas croire que notre activité s'arrête là. On leur apprend aussi d'autres tours, pas toujours spectaculaires mais pourtant très difficiles. Les éléments les plus prometteurs arrivent à faire le silence et, simultanément, à lever un doigt, tout en restant assis. Le dresseur donne alors une récompense à la personne de petite taille. Plus la personne est petite et plus le tour est difficile. Comme le dressage dure des années, on doit maîtriser plusieurs techniques. Ainsi, un bon dresseur pose des questions dont il connaît la réponse et n'interroge jamais celui qui connaît aussi la réponse.
Le sujet étant souvent têtu, retors et remuant, il est parfois nécessaire d’utiliser la manière forte. Mais le métier se perd et ce n’est plus ce que c’était. Aujourd’hui la torture se pratique en cachette, les châtiments corporels n'étant plus autorisés. Alors, pour compenser, certains utilisent les espaces disponibles: coins, murs, couloirs... Un jour, j'ai rencontré un imaginatif qui faisait allonger à même le sol les réfractaires. Pour faciliter l'acquisition du silence et de la station assise, il existe des techniques modernes qui servent de prétexte et facilitent l'adaptation. L'écriture sur des cahiers est un moyen efficace de détourner l'attention des gens de petite taille. Quand le cahier est terminé, on le jette. Depuis quelques années, on peut même le recycler... Quand on n'a pas de cahier disponible, on fait juste les lignes, n’importe quel texte fait l’affaire et si on n’a rien sous la main, une seule ligne répétée à l’infini est tout aussi efficace. Une fois, j'ai vu un dresseur, un peu dépassé, qui avait écarté une personne de petite taille dans une salle isolée et lui avait donné une conjugaison (terme professionnel) à effectuer. Sur la feuille, à moitié déchirée, d'une écriture imprécise, on pouvait lire: je dois me taire, tu dois me taire, il doit me taire, nous devons me taire, vous devez me taire, ils doivent me taire... Sur le bulletin, on allait bientôt pouvoir noter: en progrès.

13 décembre 2006

Les trois mondes...

Le premier des mondes est caché. Il situe la sphère intime. On s'y retrouve la plupart du temps seul avec ses petis calculs, soucis et secrets. Quand l’autre entre dans cet espace ultrasensible, il doit être autorisé. Il se présente nu. Dans cet espace, les corps se délassent, s’enlaçent. C’est le monde de l’intensité et de l’abandon. C’est un monde sans loi. Le lit est son territoire. Valeur absolue.

Istanbul, novembre 2006

Le deuxième monde est confiné. Il définit la sphère privée. Ceux qui l’occupent s’appellent “les proches." Avec eux, on partage le pain, les émotions. Les corps se touchent, s’embrassent, s’irritent. Les règles qui régissent ce monde sont culturelles et coutumières. Une paire de pantoufles et un pantalon mou font l’affaire au quotidien mais pour la fête, rien n’est assez beau. La maison protège ce territoire. Valeur inestimable.

Aix, 24/12/05

Le troisième monde est ouvert. Il situe la sphère publique. C’est celui des étrangers. On les croise, les rencontre, les cotoîe. On s’y présente peigné et habillé. Les corps s’évitent ou s’effleurent par des gestes conventionnés. Les règles sont générales, impersonnelles, communes. Tout le monde s’y retrouve pour s’activer. La planète est le terrain du jeu. Notre valeur est un, ni plus, ni moins.

New York, mars 2006

Bon, et alors?

Ces trois mondes ne sont pas donnés, ils ont été conquis. Ils sont poreux et leurs frontières sont variables, incertaines. En inventant un quatrième monde, la religion envahit l’espace intérieur, dicte à chacun ce qu’il doit penser et faire, régit l’espace occupé et élimine progressivement la distinction entre les mondes. Dans un mouvement symétrique, les régimes totalitaires ont cherché, au nom d'un monde meilleur, à détruire les espaces privés et intimes.

Berlin, février 2006
Remarque 1
Pour assurer et garantir notre équilibre, notre dignité et notre liberté, chacun des mondes doit être délimité, occupé et protégé.

Remarque 2
Je ne sais pas pourquoi je vous parle de ça.

07 décembre 2006

L'année volée...

Au quotidien, certaines heures sont lentes, d'autres disparaissent sans être vécues. Il existe des minutes cruciales, déterminantes mais la plupart forment une bouillie informe. La semaine reste anonyme. Les jours constituent l'unité de temps la plus banale, bons ou mauvais, ils s'accumulent et forment des petits tas qu'on efface à chaque nouvelle échéance. Les mois sont les plus jolis avec leurs images des saisons. Les années ont un statut particulier, ce sont elles qui tiennent notre compte. Cette perception est relative mais s'inscrit dans notre être, jusqu'à devenir notre première nature.

Cette année, j'ai rompu le rythme imposé; à la place du ici et maintenant répété presqu'à l'infini, j'ai appuyé sur pause et me suis déplacé à la vitesse du désir. Tout a commencé au milieu de l'hiver... les noms qui suivent forment une liste insolite, géographie de mes nuits. On pourrait placer les points, les relier et observer le motif qu'ils dessinent.

Aix, Paris, Lille, Bruxelles, Amsterdam, Berlin, Prague, Vienne, Vérone, Perpignan, Bilbao, Burgos, Salamanque,Ségovie, Madrid,Tolède, Tarragone, Algerola, Naples, Marrakech, Tellouet, Aït Benadou, New York (Washington Street, 19 ème, 52 ème), Athènes, Paros, Santorin, Heraklion, La Canée, Paleochora, Rethymnon, Stavros, Heraklion, Andros, Athènes, Oléron, Prunières, Paris, Shanon, Gallway, Istanbul, Aix.


Maintenant, la part en voyage s'est retirée, j'ai repris la course contre la montre... De temps en temps, je ralentis le pas, je lève les yeux et un morceau de ciel devient évocateur... Combien de réveils avant que la brume des matins lourds fasse disparaître les derniers parfums?

02 décembre 2006

Passe-temps...

Quand j'étais enfant, je m'ennuyais parfois... les après-midi d'été étaient interminables. La sieste était forcée. A cette époque, il faisait toujours trop chaud et c'était encore trop tôt ... alors, je restais allongé, dans la pénombre pour la fraîcheur, à faire semblant d'être fatigué et je relisais des bandes dessinées souples de poche. Les héros s'appelaient Zembla, Akim et Blek le Roc...
Dans l'ennui, le temps ne peut plus s'écouler. Chaque instant se gonfle, et le passage d'un instant à l'autre ne se fait pas. Dans la vie, l'existence et le temps marchent ensemble, on avance avec le temps. Dans l'ennui, le temps se détache de l'existence et nous devient extérieur...
C'était il y longtemps déjà, presque autrefois .
Aujourd'hui, j'aime les jours de pluie quand ils sont rares et qu'ils tombent un dimanche. Pas de scrupule alors à traîner, pas de culpabilité... Idéal pour rester couché avec un gros livre et lever la tête de temps en temps pour regarder la journée passer par la fenêtre.
Entre le pas assez et le trop, le temps ne s'écoule pas toujours au bon rythme, le nôtre. Et pourtant, pas moyen d'y échapper, hors du temps, point de salut. La perception du temps est la principale activité à laquelle nous sommes quotidiennement conviés. Entre, j'ai le temps de rien, qu'est-ce que ça passe vite, et les ça n'avance pas, ça va encore durer longtemps, on passe son temps à jacasser sur la vitesse ou la lenteur de l'écoulement. Souvent, on l'oublie, ça donne, tiens, il est déjà 5 heures, j'ai pas vu passer le temps...
Moins réjouissant, c'est la quantité consommée, quand on jette un coup d'oeil furtif au compteur et qu'on se dit, p... cinquante tout à l'heure... Les petits abus sont appréciés, les excès fichent la gueule de bois.


Comment concilier ces deux nécessités, gagner sa vie et ne pas perdre son temps? ...problème insoluble dont l'issue est, en général, fatale.

(photos, Fuveau, octobre 2005, avant le grand déménagement...)