27 février 2007

Les irréductibles...

Les éclaireurs ont résisté à la tentation. Ils se sont assis sur le rebord du monde pour regarder le spectacle des hommes. Marc Aurèle et Wittgenstein ont une autre nature. Ils sont restés indifférents à ce qui fait courir les autres hommes, le pouvoir, la richesse et la gloire. Ils ont tous les dons, tous les talents, pourtant ils vont renoncer pour vivre comme ils l’entendent, dans l’humilité et l’austérité. Courageux, déterminés, ils seront généreux et simples. Leur oeuvre et leur vie, intimement liées, s'entrexpriment, reflétant la même exigence éthique et la même intensité intellectuelle.

Wittgenstein, né à Vienne en 1889, part en Angleterre à 18 ans et s’inscrit à la section de mécanique de l’Université de Manchester. Il consacre toutes ses activités à la recherche aéronautique, puis délaisse l’invention pratique pour l’étude des mathématiques pures. Il a vingt ans. Après un séjour en Allemagne, il étudie la philosophie à Cambridge avant de séjourner une année en Norvège dans une cabane qu’il a construite. C’est un musicien averti, très bon clarinettiste, il est attiré pendant une période par la carrière de chef d’orchestre. Il étudie aussi la psychologie expérimentale. En 1914, il s’engage dans l‘armée autrichienne, sert dans la marine, puis devenu officier, il prend part aux combats; en 1918, il est fait prisonnier et passe pluisieurs mois dans un camp, au sud de Italie. A son retour, il se débarrasse de la fortune héritée à la mort de son père et vit avec une extrème frugalité. Il n’a pas encore 30 ans. Célébré pour ses textes philosophiques, il refuse les titres et les honneurs et devient instituteur. Il enseigne pendant six ans dans des villages en Basse Autriche avant de s’ employer à des travaux de jardinage dans un monastère. Il les interrompt pour se consacrer, pendant deux ans, à la construction, dans les moindres détails, d’une grande maison destinée à l’une de ses soeurs. Il utilise aussi, à cette période, l’atelier d’un ami, pour sculpter. Puis, il visite l’URSS, apprend le russe, et se réinstalle pour une année dans sa cabane en Norvège. Il a aussi repris son projet philosophique et il est nommé titulaire da la chaire de philososphie de Cambridge. Quand la deuxième guerre mondiale éclate, il s’engage dans le service de santé de l'armée britannique, il est d’abord brancardier, puis affecté dans un laboratoire. En 1947, il démissionne de l’université de Cambridge et s’isole du monde. Il s’installe dans le nord de l’Irlande, dans une cabane proche de la mer...
Mais l’histoire la plus étonnante qu’on raconte sur lui est la suivante... Wittgenstein et Hitler étaient en classe ensemble, une photo en témoigne. Il est même probable que l’antisémitisme d’Hitler se soit développé en réaction à la personnalité de Wittgenstein... Pendant la deuxième guerre mondiale, Wittgenstein aurait aussi été un agent recruteur au service des russes. Le Juif qui, le premier, a implanté en Hitler sa judéophobie, serait le même Juif que celui qui renversa le Reich en faisant passer les techniques de décryptage de codes et de chiffres entre les mains de l'armée rouge...

L'oeuvre philosophique de Wittgenstein est considérable. Elle défait les noeuds et éclaire les obscurités du langage. Elle bouleverse la compréhension que nous avons de l'extériorité, de l'intériorité et de leur relation. Ses derniers mots furent : « Dites-leur que j'ai eu une vie merveilleuse. »

Marc Aurèle a écrit un carnet rassemblant ses pensées. Les romains, en écrivant, ne visaient pas la lumière d'un non-dit, mais la reprise méditative d'une sagesse consistant à s'atteindre, à vivre avec soi. Voici les pensées que l'Empereur notait, pour lui-même, il y a presque deux mille ans...

"Le petit métier que tu as appris, aime-le et donne-lui tout ton acquiescement. Le reste de ta vie, passe-le en homme qui, de toute son âme, compte sur les Dieux pour tout ce qui le concerne, et qui ne fait ni le tyran ni l'esclave d'aucun des hommes."

"Réfléchis souvent à la liaison de toutes choses dans le monde et à la relation des unes avec les autres. En un certain sens, elles sont toutes tressées les unes avec les autres, et toutes, par suite, sont amies les unes avec les autres. L'une, en effet, s'enchaîne à l'autre, à cause du mouvement ordonné, du souffle commun et de l'unité de la substance"...

24 février 2007

Sieste...


Bercé par votre présence chaleureuse et nos conversations légères dans l'arrière-boutique, je n'ai rien préparé.
Il faudra se contenter des restes et, cet après-midi, je préfère relire les jolies choses que nous avons dites ces jours-ci...

20 février 2007

Les éclaireurs...


Ils ont parcouru des chemins sur lesquels je m'aventure, parfois. Ils sont à mes côtés pour franchir les obstacles. Ils sont la lampe frontale qui vient éclairer le passage difficile. Ils n'éblouissent pas avec leurs lumières. Ils n'ont pas de système à vendre. Ils sont passés par là et connaissent le terrain.
Blanchot, je le fréquente très peu, il est si silencieux, discret, neutre, pâle, presque invisible. Il incarne la "solitude essentielle".
Pessoa, je l'ai rencontré par hasard, j'ai fait la connaissance des personnages qui l'habitent. Seul Bernardo Soares m'est vraiment proche. Il met en mots mes propres pensées, en choisissant les phrases que je ne trouve pas... C'est devenu un familier.
Cioran est un parent éloigné, exilé, qui me fait plier de rire à la fin des repas en racontant l'absurdité du monde. Il me dit aussi que je ne suis pas obligé de participer, de courir en suivant les bruits et les lumières de la ville. Il me répète que je suis libre et responsable de cette liberté.
Char est énigmatique, pas facile d'accès. Sa carrure, sa grosse tête m'impressionnent. Je marche à ses côtés au bord de la rivière, je ne dis rien, j'écoute et j'attends qu'il lâche quelques mots. Je m'empresse de les noter pour les examiner plus tard, tranquillement, au coin du feu.
En résistant, en renonçant, ils ont placé des signaux sur le parcours, dessinant la frontière entre le possible et l'impossible. Ils n'imposent rien, ils n'ont pas de biographie... il faut leur faire confiance...

16 février 2007

Entracte...

Dessin plume et encre de chine, vers 1986

Les marcheurs qui s'aventurent loin des sentiers battus et partent à la conquête de terres inconnues ont toute mon admiration. J'aime suivre leurs pas, parcourir après eux les espaces qu'ils ont découverts. Leurs expériences limites posent des balises, des repères dans la nuit. Ils indiquent la direction à suivre quand le chemin devient difficile. Je n'ai pas l'âme d'un aventurier, je suis un promeneur du dimanche et ces hommes sont mes héros. Chacun a pour moi une valeur particulière, il a ouvert une possibilité d'être, de résister au quotidien, au conventionnel, à l'ordre, à l'attendu. Je n'aime pas trop fouiller dans leur vie, je me contente de bribes et de leur oeuvre. Marc Aurèle, Cioran, Wittgenstein, Blanchot, Pessoa, Char sont mes porteurs d'eau. Ils me soutiennent et m'accompagnent. Chacune de leur existence résonne en moi et je me sens redevable du don qu'ils me font.

14 février 2007

Planète blog, acte III scène 3

Foule 17, 1984

J'ai ouvert la boîte et je ne m'en sors pas. Hier soir, débordé par le flot de questions soulevées, j'écrivais " Je bouillonne mais votre absence rend la tâche surhumaine... Nous sommes un livre ouvert qui s'écrit à plusieurs têtes."

Afin d'y voir un peu plus clair, je dépose ici ce que nous avons mis, les uns et les autres. Je pose en vrac, j'ai bien essayé de faire des rangements organisés, le moi, le toi, le soi, le multimoi, le nous, le vous, le vous et moi, l'autre, la présence et l'absence, le "il y a" et le "je suis", le réel et le virtuel... J'ai aussi tenté une présentation par champ, mais le résultat est le même, il y a des morceaux partout, des trucs qui restent dans un coin, d'autres qu'il faudrait mettre dans chaque catégorie...

“Etranges liens d'une toile tissée de plusieurs sens uniques, qui toutefois parviennent à se croiser quelquefois.Mysterieuses attaches qui ressemblent à de l'amitié parfois. Une amitié sans implication pourtant...Toute une contradiction.”
“Derrière nos écrans, chacun de nous est susceptible d'être en lien avec, d'aller à la rencontre de gens de tous horizons, que le monde réel, notre environnement, nos lieux de vie, nos modes de vie et pensée, n'auraient pas permis. A l'heure où nos libertés individuelles se réduisent à une peau de chagrin, où les espaces d'expressions sont trop souvent torpillés, c'est peut être cela qu'apporte internet/blog/my space: des espaces d'expressions,libres, où l'on se fout de votre pedigree, de votre CV, de vos appartenances familiales, de votre capital bourdieusien. Cela rend l'émergence de communautés planétaires possible, et affranchie des transports physiques.”

"Je ne crois pas à la virtualité de cet espace qui permet des rapports sans rapports etc. car il y a un précédent de taille auquel nous accordons la plus grande réalité : le langage même. Non pas le langage comme simple outil, mais comme espace même de notre penser. Le langage FAIT espace est notre toute première agora. Qu'il faille s'en réjouir ET le déplorer c'est une autre histoire. Gageons cependant que celui-ci d'espace (blogosphère) nous dégage justement un peu du langage-espace hiérarchisé et nous "compétitifiant" les uns les autres, au profit d'un langage plus horizontal, moins fonctionnel, plus propice à réintroduire entre nous des sentiments naturels liés au dialogue.”

“Oui le monde des bloggeurs est virtuel et pourtant infiniment réel, profond, les amitiés voire les amours y sont souvent fortes, le fait sans doute de ne pas se connaître physiquement y incitent avec une certaine dose de fantasmes ...”

“"Alors outre les blogs d’inventaires et les blogs militants, les seuls blogs qui célèbrent l’Agora sont peut-être ceux nourris de notes éphémères, ou encore ceux où les auteurs déposent simplement ce qu’ils ont personnellement à dire. " Cette note qui dévoile une nouvelle Agora m'a marqué. Cette spécificité, dans le rapport d'égalité qu'elle instaure entre des individus libres, restaure un espace disparu, celui de la discussion, cette parole non figée par l'écrit.
Par delà cette conquête, nous découvrons la nature des relations qui pouvaient alors exister et que nous avons oubliées. Cette relation a tous les critères de l'amitié, réconciliant l'espace privé et l'espace public, ethique et politique ne faisant plus qu'un. Je me sens proche de vous dans un rapport que je ne connaissais pas. Vous êtes entrés dans mon existence et vous êtes devenus importants mais nous ne nous devons rien.”

“ J'aime ces rencontres virtuelles, qui ne remplacent pas les "réélles", mais qui les complètent. C’est une autre façon de communiquer, différente de la tradition epistolaire, car rapide, presque immédiate, et variée. La blogosphère est un véritable monde qui se sustitue à celui auquel on s'était habitué. Tout est concentré ici.”

“ lAttention à l'enfermement, même si c'est dans un monde aussi "ouvert" que la blogosphère,reste vigilant...”

“Je n'échange pas car je ne vous parle pas. Je prends, je ne donne pas. Les commentaires, au contraire du blog lui même, me semblent bien trop souvent egotistes (est-ce le bon sens de ce mot? centrés sur la seule personne de l'écrivant écrivain qui se met en scène et ne souhaite pas partager autre chose qu'une façade. Triste pensée ou réalité? “

“Dans ce monde, ondoyait une infinité de phrases solitaires qui s’y regardaient attentives et s’y croisaient parfois sans se voir. Des phrases empreintes d’une humanité qui s’emparait et réchauffait sans repis un espace technoïde trop longtemps gelé. Des mots qui s’entassaient parfois, jusqu'à former des montagnes de contradictions aux sommets inatteignables. J’y entrai, dans ce monde, muni d’un petit sac rempli de lettres, de petites lettres rien qu’à moi, conservées depuis lors avec beaucoup d’attention, dans le doux secret des jours intérieurs. Je les éparpillai alors, à droite à gauche parmi celles des autres qui étaient arrivés avant moi. Je regardai mes lettres qui formèrent des mots à leurs tours et je restai là, immobile, interrogatif et inquiet, à les observer. Et puis je vis, je vis mes mots qui s’échappèrent, qui se faufilèrent au milieu des autres, qui se mirent à tournoyer en farandoles jusqu'à s’éparpiller partout en territoire inconnu. J’esquissai le sourire, celui de l’enfant qui libère l’oiseau, et j’attendis secrètement qu’ils reviennent…Ils ne revinrent pas bien sûr. Mais je reçu en retour des mots venus d’ailleurs, de douces paroles à boire, de celles qu’on sirote le soir entre amis aux comptoirs des petits cafés, de celles qu’on susurre à l’oreille aussi, de celles qui vous questionnent, qui vous secoue doucement l’épaule et vous encourage. Je pris les paroles, les plongeai furtivement dans mon sac, désormais vide de mots, je regardai le ciel et repris mon chemin.
C’est un monde aux milliers de mots…qui pourrait bien vous tirer des larmes.”

“J'aime beaucoup la dimension "rencontre" des blogs. Notre animalité physique en étant exclue, reste un rapport qui se créé (ou pas) entre des êtres géographiquement éloignés (ou non). Avec certaines et certains se noue un lien de proximité- intellectuelle, artistique, affective- désincarné, mais réél.
c'est étrange et fascinant.”

“ "Accoucher de soi-même à plusieurs" : tel est, à mon sens, l'amitié que nous nous faisons les uns les autres sur la blogosphère, pour peu qu'on y consente personnellement. C'est cet aspect maïeutique de nos relations dites "virtuelles" qui joue le rôle à la fois de garde-fou (contre des fantasmes aussi dévastateurs qu'infondés) et de garant de l'objectivité (du bien-fondé) de nos dires. Ici, notre existence est incertaine...”

“Sommes-nous présent ou absent ? réel ou imaginaire? sujet ou objet ?...
C'est, je crois, ce caractère indécidable qui exerce cette fascination et ces projections. Il y a de la rugosité dans la blogosphère...”

“On s'interroge, on se touche, on se gratte la tête, on s'épouille les uns les autres, sans même jamais se connaître...
Ici, on peut tout se dire, et chaque mot se greffe à nous pour nous pousser... vers quoi ?
Un grand monde qu'on rêve être le nôtre ?
Se retenir à nous, se retenir à soi...”

“Ces rencontres et ces échanges ressemblent à ceux que l'on aurait dans des musées et des bibliothèques où la parole serait encouragée. Assemblées sans statut, membres sans condition.”

“Ce qui me questionne, pratiquant moi-même le blog depuis peu, c'est la virtualité de la rencontre. "Sommes-nous sujet ou objet ? ". Les deux probablement, toujours, ici comme dans la réalité. Mais en définitive qu'est-ce qui est le plus réel ? Ces faux-semblants dont nous usons pour tenir les masques sociaux ? Ou ces échanges à distance et en intériorité ? “

“Notre statut, notre réalité, notre identité sont remis en question par cette virtualité, et cela nous l'acceptons. Mais le plus surprenant c'est que ces questions se transposent dans le monde que l'on appelait réalité. Ce reflet nous révèle à nous-mêmes et nous montre ce que nous sommes... en réalité.
Le fait d'être nombreux à penser des choses si proches, si loin des conversations quotidiennes est encore plus étonnant.”

“et à la fin retourner dans l'autre monde .. quel est donc le vrai ?? “

“..avec moins de limites entre les "deux mondes".

“En soi tous les mondes qu'ils soient subjectif ou objectif ou ??? ... se cotoient au gré de nos fantaisies, naturellement !”

“Fantaisie et nécessité, nous jouons d'inscriptions dans des logiques de vies alternatives et plurielles qui s'actualisent ou restent rêvées...”

“Il y a 32 ans maintenant, Roland Jaccard voyait déjà que contrairement aux sociétés archaïques, "dans nos sociétés modernes, l'autre est réduit à une pure fonction instrumentale; nous le côtoyons, mais nous ne le rencontrons jamais." Il définissait l'exil intérieur comme étant "ce retrait de la réalité chaude, vibrante, humaine, directe; et le repli sur soi; la fuite dans l'imaginaire". Dans son ouvrage "L'exil intérieur. Schizoïdie et civisation" il essayait de répondre à la question de savoir par quel processus la sphère du privé nous a conduit à cette schizoïdie généralisée.
Cela considéré, la question aujourd'hui est de savoir si cet écran de 17 pouces va enfin nous guérir ou nous donner le coup de grâce.”

“Se rencontrer à nouveau, dialoguer à nouveau : recréer ici l'espace originel de la philosophie, c'est-à-dire pour nous, véritable gageure aujourd'hui : un espace plus fort que la philosophie actuelle même !
A mon sens c'est possible, mais les conditions à remplir pour de véritables rencontres nécessitent de vaincre bien des désirs et autres sales habitudes...”

“Attention, trop bloguer conduit à un dédoublement de la personnalité . Bon nombre de blogueurs sont devenus des amis et quelques amis sont devenus des blogueurs donc pour moi la frontière entre les deux mondes a été effacée depuis longtemps...”

Voilà le travail...

10 février 2007

Planète Blog, acte III scène 2


Il arrivait, posait son cartable sur le coffre. Il le ramenait tous les soirs par habitude, mais il ne l'ouvrait jamais.
Il enlevait sa veste, la jetait sur le fauteuil où elle resterait jusqu'au matin, puis il se lavait soigneusement les mains, ouvrait nonchalamment son courrier, rangeait les factures dans un gros dossier où elles attendraient la dernière échéance, jetait les envelopppes après les avoir froissées et réduites en boules compactes puis il se dirigeait vers son bureau sans éclairer la pièce. Il s'installait sur la chaise pivotante après avoir réajusté les deux pieds instables, se frottait inconsciemment les mains, débloquait l'écran, l'ouvrait, appuyait sur "on" et attendait. Son corps commençait déjà à le quitter... Dans quelques secondes, quand la lumière bleutée aurait fait son apparition, il l'oublierait.
Le fond d'écran, les icônes. Il pouvait commencer. Il cliqua. La machine s'affairait, on entendait un léger ronron, les fenêtres s'ouvraient et se superposaient. Il aimait voir tourner la petite roue qui indiquait la recherche des nouveaux messages... et puis le bip suivi de l'affichage. Comme sa vue avait baissé, il devait s'approcher pour déchiffrer le nombre de messages reçus. Un clic et un coup d'oeil.. Il effaça les publicités et consulta les autres messages. Il y avait des commentaires sur le blog. Il attendrait d'être sur le site pour les découvrir. Pour l'instant, il choisissait la musique qui allait l'envelopper pendant cette nouvelle séance. Il lui restait à consulter le compteur, un pincement d'impatience pendant le chargement, et l'affichage de la statistique, implacable. Depuis quelques semaines, le nombre de visiteurs avait crû de manière importante, presque doublé. Cet indicateur le rassurait, une douce chaleur l'envahissait. Il se sentait bien. Il pouvait enfin ouvrir le blog, lire les commentaires qui avaient été déposés, par les habitués, les anonymes et les nouveaux venus. Cette rencontre, toujours imprévisible, l'enchantait. Il lisait attentivement chaque phrase, la faisait tourner pour en savourer le sens. Avant de répondre, il préférait lire les autres blogs, ceux qu'il avait selectionnés jour après jour. Ils étaient devenus familiers, leur mise en page, leur manière d'aborder les questions, leurs habitudes langagières. Quand un texte faisait écho, il prenait le temps de chercher quelques mots pour dire qu'il était passé, qu'il avait apprécié. Au début, il avait trouvé ça difficile, d'écrire en aveugle et puis à force de citations recopiées, il avait pris une certaine confiance et maintenant, il préférait laisser ses propres mots. Ensuite, il fermait les fenêtres, ouvrait la page de ses textes, et, entouré de carnets, de notes, de livres et du dictionnaire, il se mettait au travail. Quand il jugeait qu'il avait terminé, il jetait un dernier coup d'oeil à son courrier, rangeait ses affaires, éteignait l'ordinateur, allumait la lumière, récupérait son corps et retournait dans l'autre monde...

07 février 2007

Planète Blog, acte II

Pommes (1995), sur la table du salon...

Plus les commentaires sont nombreux et détaillés, plus ils influencent l'écriture. Depuis quelques temps, mon sujet s'est déplacé, il change de forme. Votre participation modifie ma perception. Sans vous, j'aurais continué ce dialogue tranquille que j'avais engagé avec moi-même. En intervenant, vous m'interrogez, m'obligez à m'arrêter et à examiner ce que je transporte. Cette semaine a été fructueuse. J'ai découvert des choses impensées ... En réponse à un commentaire, j'ai ainsi pu écrire "... des mots, des sons, des images pour échapper à l'effroi ressenti à la surprise de rencontrer quelqu'un en soi et de devoir faire face à la part impersonnelle qui nous habite, part que nous avons nécessairement en commun... émerveillement quand la part de l'autre se manifeste et vient à ma rencontre..." J'ai aussi trouvé: "Je Te parle de Lui, cet autre, impersonnel, que nous avons en commun."
Cette aventure "endotique" sur une terre inconnue, ici la planète Blog, est analysée par Remo Bodei: "Traversant des espaces logiquement intraversables, nous franchissons sur l'aile du désir le miroir qui sépare le réel de l'imaginaire et pénétrons dans un monde sans épaisseur qui paraît plus riche de sens que l'univers tridimensionnel où nous vivons effectivement. Nous sommes poussés vers une zone d'irréalité véridique ou de déréalisation qui nous satisfait, vers une illusion plus vraie que toutes les réalités qui nous entourent. Ainsi s'ouvrent d'improbables et imprévisibles fenêtres de sens, des mondes et des enclaves bénéficiant par rapport à la réalité et au temps chronologique d'une extraterritorialité, qui nous parlent d'une autre existence plus digne d'être vécue, d'un joyau enchâssé dans la banalité du quotidien, d'une éternité conçue comme fin des relations temporelles."

Promeneur égaré sur cette planète, je termine en citant Job " Oui, j'ai parlé, sans comprendre, de merveilles qui me dépassent et que j'ignore" ...

04 février 2007

Planète Blog...

Dessin aux pastels, 1979...

Quand j’ai créé ma petite entreprise sur la planète Blog, je n’avais aucune idée de son devenir. J’écrivais dans mon premier bulletin à usage externe : “je deviens un point, un signe,.. pas grand chose et c'est déjà un peu désespérant, le silence de ces espaces infinis ... rencontrer d'autres particules égarées ?”
Ma petite affaire a fructifié. Quelques proches, visiteurs bienveillants et puis des rencontres inattendues, insoupçonnées.

Dans ce monde parallèle, espace social dématérialisé, personne ne peut imposer son autorité, les relations fonctionnent sur un pied d’égalité. Les rencontres sont libres, consenties. Elles sont virtuelles mais les liens qu’elles tissent sont réels. On s’attache, on attend, on sourit. Chaque signe est un instant de plaisir, léger. Absence de calcul, de mise à l’épreuve.
Etrangeté qui rend possible la reconnaissance d’une certaine communauté. Rapport sans rapport, partage sans partage, communauté sans communauté.
Cette relation totalement neutre, qui loin d’empêcher toute communication nous rapporte l’un à l’autre. Elle ne survient que dans une temporalité entre parenthèses.
Rapport incommensurable de l’un à l’autre, elle est le dehors relié dans sa rupture et son inaccessibilité. Elle est désir de franchir une distance infinie et irréductible, la proximité des lointains et le contact de ce qui n’atteint pas.

Réconciliant l’égalité, la liberté, la fraternité, la planète Blog réalise la république sublimée....

Remarque:
Plusieurs micro-événements ont motivé ce billet: un blogueur qui quitte la planète et retourne sur Terre, des blogueurs qui se mettent en retrait, un commentaire inattendu sur mon premier post...
(Cette analyse doit beaucoup aux écrits de Maurice Blanchot sur ...l'amitié.)

02 février 2007

Histoire à dormir debout...

Quand les filles étaient des enfants, il fallait être imaginatif pour transformer les promenades dominicales en parcours ludiques et attractifs. Leur tentation se matérialisait plutôt en une protestation grise voire une franche et noire hostilité. Mais, impossible de déroger, il fallait encore et toujours emprunter les mêmes chemins sur lesquels on s'extasiait avec une constance qui frisait la provocation.
Aussi, pour agrémenter le trajet, très répétitif, nous nous racontions des histoires, nos lectures ou notre imagination projetaient sur les sentiers des personnages qui nous accompagnaient.
En relisant un petit carnet, j'ai retrouvé le compte rendu d'une de ces journées et l'histoire que je leur avais inventée. C'est l'histoire d'Eléonore, une petite fille empruntée par des extraterrestres gazeux et sphériques... et qui ne dut sa survie et son sauvetage qu'à sa force mentale. Elle s'était aperçue qu'elle avait la capacité de transformer leurs corps gazeux. Après de longues et douloureuses aventures, elle avait réussi à changer chaque entité bulle en cube dense... En assemblant les cubes, elle avait construit une sorte d'échelle qu'elle put utiliser pour redescendre sur terre...

En rangeant, j'ai aussi retrouvé un dessin que j'avais fait pour leur chambre...



Je me demande ce qui pouvait bien me passer par la tête à cette époque.