19 mai 2007

Dernière fois...

( Irlande, 25 août 2006)

Il y a neuf mois, j'ai débarqué sur ce rivage. Je suis parti au hasard. La plupart des autochtones que je croisais ne m'intéressaient pas, leurs maisons déversaient à longueur de temps de l'insensé, du vide bruyant et coloré. J'ai continué à marcher. Et puis, une première rencontre, T., m'a ouvert des portes jusque-là inaccessibles. En déposant un message chez moi, j'étais invité à me rendre chez elle. Là, j'ai découvert, ce que je ne soupçonnais pas, un lieu chaleureux, accueilllant, et une liste magique, des liens qui sont devenus mes favoris et que je continue de visiter régulièrement. J'existais pour quelqu'un quelque part sur cette terre hostile et surpeuplée. Depuis, j'ai eu le sentiment de vivre dans un quartier très favorisé, entouré de gens charmants et bien élevés. Dans l'autre vie, qui continuait, on s'est inquiété de ces absences, de me voir partir des heures sans donner de nouvelles, et de raconter au retour ce qui arrive là-bas, ce qu'ils ont dit et écrit. Progressivement, la réalité s'est déplacée... je passais sous assistance respiratoire virtuelle.
Il était temps de débrancher l'appareil, de ressortir...


Londres, avril 2007)
Le voyage fut merveilleux, il laissera des traces, longtemps, très longtemps...


16 mai 2007

Reconnaissance...

( autoportrait, milieu des années...)

Je ne sais pas. J’ai fait le premier pas et j’ai continué à marcher. Aujourd'hui, j’arrive au bout de ce chemin. Il se fait tard et il faut rentrer avant la nuit. Je vais quitter vos esprits et reprendre mon corps, rentrer chez moi, retrouver mes responsabilités. Vous m’avez accompagné au bout de mes mots, vous m’avez habité, peuplé mon deuxième monde. Je n'ai pas eu besoin de vous connaître pour vous reconnaître. Je n’irai pas plus loin, au delà, il n'y a que les gouffres. Sur le chemin du retour, nous continuerons la conversation, les sujets ne manquent pas. Plus tard, sur l’autre rive, nous nous verrons peut-être, un jour, découvrant nos visages, étonnés, et nous reparlerons de cette aventure. Quand nous serons prêts à accepter nos propriétés spécifiques, comme ils disent...
C’est comme ça que je vois les choses maintenant.
L'énigme s'est déplacée... Grâce à vous, je vous salue, reconnaissant.

12 mai 2007

Mise au point...


Je refuse toute constitution d'une partie et revendique l'étonnement et le sentiment comme mode d'agir et de réagir. Je n'ai rien à dire et encore moins à discuter, rien à prouver. De mon point de vue, il n'y a rien à démontrer, juste à montrer. C'est le geste qui fait le signe. Je pense le monde comme un horizon et non comme une échelle. J'écris, comme ça vient, réchauffé par l'écho. Je me laisse glisser dans les songes, vous me faites dire des choses que je n'ai jamais pensées. Détaché, je dérive, entraîné par un courant qui me transporte vers vos rivages. Vous m'occupez sans m'appartenir. Dématérialisés, nos échanges ne peuvent être marchandés, notre bien commun se situe hors du temps. Nous partageons, ici, une communion désacralisée. Je n'ai pas de pourquoi...

(Ce petit carré, réalisé dans les années quatre-vingt, se présente aujourd'hui comme un tableau d'anticipation, coup d'oeil jeté hors du cadre...)

08 mai 2007

Dessine moi un ami...


Quelle histoire... ces commentaires à perdre l'envie de mettre le nez dehors. Prendre le temps de savourer puis revenir sur terre, ne pas se laisser entraîner trop loin par ce chant si doux, s'arrêter quand même un instant pour saisir les raisons de ce charmant mouvement. Cette forme d’échanges, qui provoque de tels élans de sincérité, de générosité n'est pas nouvelle, c'est l'une des conséquences de l'aphabétisation ...

Depuis que la philosophie existe comme genre littéraire, elle recrute ses partisans en écrivant sur l'amour et l'amitié, et si elle est restée vivante depuis 2500 ans, elle le doit à sa faculté de se faire des amis par le texte. Règle du jeu de la culture de l'écrit, les expéditeurs ne peuvent prévoir qui seront leurs véritables destinataires. Les auteurs ne s'engagent pas moins dans l'aventure consistant à expédier leurs lettres en direction d'amis non identifiés. L'expéditeur de ce genre de lettres d'amitié envoie ses textes au monde et peut provoquer une quantité indéterminée de possibilités de lier amitié avec des lecteurs qui n’ont pas de nom. Le texte lance une séduction dans le lointain, une action à distance en se donnant pour objectif de dévoiler l'ami inconnu comme tel et l'inciter à rejoindre le cercle d'amis. Le lecteur en recevant ce "carton d'invitation" s'inscrit, s'il se laisse “réchauffer” par cette lecture, dans le cercle des destinataires, pour confirmer l'arrivée du message...

En mélangeant nos mots dans nos nouvelles identités nous réalisons, ici, le vieux fantasme communautaire d’une société littéraire dans laquelle les participants découvrent leur amour commun pour des émetteurs qui les inspirent, rêve de la solidarité fatidique de ceux qui sont choisis pour pouvoir lire...
J'allais oublier, cette affaire a un nom : humanité.

Cette analyse doit tout à Peter Sloterdijk , rapportée à ce qui nous anime ici...

03 mai 2007

Vernissage...



J'avais déjà exposé, de manière occasionnelle et confidentielle, j'avais montré et les autres avaient regardé, commenté, et pour les plus aimables, apprécié certains travaux. J'étais pourtant resté insatisfait, l'impression de passer à côté. C'était donc ça, une mise en scène, un échange mondain, attirer, séduire, expliquer à l'un la technique, à l'autre les influences, acquiescer, à la merci... Ce n'est pas ce que je voulais. J'ai tout rangé dans des cartons et poussé ça dans la cave, avec les choses à oublier. Affaire classée.
Un jour, j'ai commencé ce blog. J'ai raconté des trucs et des machins et puis, un soir, le blanc, le noir, plus rien. J'allais abandonner, quitter ces lieux et retourner à la lumière naturelle, quand l'idée de ressortir ces images m'a traversé, les mettre, en attendant, pour voir, à la place des mots.





En les exposant ici, en les regardant avec vous, j'ai écouté attentivement ce que vous en disiez. Je ne sais toujours pas pourquoi ces images ont surgi, quelles obscures tensions elles traduisaient... Je les ai redécouvertes, enrichies de vos impressions, analyses, discours. C'est comme ça que j'imaginais une exposition, autrefois...

01 mai 2007

Absence...



Chacun s'est retrouvé, un jour ou l'autre, prisonnier d'une conversation qui l'engourdissait au point, pour les plus sensibles, de basculer dans l'inconscience, d'en tomber littéralement. Un lieu clos, une réunion, un repas "de famille", des conventions à respecter, personne n'échappe continuellement à ces passages obligés.

Pris dans ce piège, la meilleure manière de survivre, c'est de participer, de s'engager. Il arrive, pourtant, que les sujets abordés nous éloignent irrésistiblement du centre d'intérêt. Sans s'en apercevoir, on se retrouve à la périphérie, dans une zone indéfinie, uniformément grise. On voit encore les lèvres s'agiter, les sons parcourent bien l'air alentour, mais le sens a disparu. L'esprit se solidifie, la matière souple et légère est remplacée par du plomb, un caillou. L'inertie l'emporte, le malaise grandit et l'air commence à manquer.

Les interminables séances de photos (l'avancement des travaux, le périple en péniche...) et les discussions sur les inconnus (le fils du cousin Jean, le boucher du village...), sont propices à ce genre d'expérience. On est coincé, attaché, à cette table, sur ce canapé, assourdi et abattu, mobilisant nos dernières ressources pour faire bonne figure. Impossible de s'évader, de penser à autre chose, une miette d'éducation nous retient toujours. Trouver la force de décocher un sourire, poser encore une question. Il faut résister, tenir.

Une fois, jeune et inexpérimenté, dès le repas achevé, à peine "passé au salon", je me suis assoupi, fuite irrépressible dans un sommeil bienheureux. Le réveil fut cruel. J'étais toujours là, sur ce maudit fauteuil, entouré de regards fort désapprobateurs, sans compter la volée de reproches sur le chemin du retour. Enfin, cette fois là, j'avais gagné, nous n'avons plus été invités.

L'autre jour, j'ai de nouveau ressenti ces affres, la conversation naviguait à perte de vue sur des océans d'inconsistance, je me suis retité dans ma cabine, j'ai fermé les écoutilles, j'ai plongé dans la mare et je suis retourné avec vous ... ça n'a pas duré, on m'a vu pendant que je faisais tranquillement la planche, les yeux tournés vers l'horizon, ... Je suis vite remonté à la surface, j'ai repris du rôti, et quand on m'a dit, "t'étais où ?", j'ai répondu, "c'était délicieux" et la conversation a repris son train-train épuisant, comme si de rien n'était...

22 avril 2007

Rediffusions...



Les textes réservent des surprises. Pendant cette vacance, je les repose. Ils situent le début de l'expérience, la première saison... Je croyais parler d'autre chose, mais à la relecture, je racontais déjà cette aventure.


15 septembre 2006 Se découvrir...

"Je ne suis pas assez con pour voyager juste pour le plaisir" (Gilles Deleuze in Abécédaire)
Partir, c'est, croit-on, aller à la rencontre des autres, mais le premier que l'on croise, sur le chemin, c'est soi-même... devenu étranger dans ce nouveau décor et cette mise en scène inhabituelle... La première question n'est alors pas une question de fond mais de forme. Est-ce que j’ai une forme définie, reconnaissable ailleurs par d’autres ?
Cette forme est-elle fixe, souple, rigide, capable de se déformer sans se transformer...? de se couler dans des moules différents en gardant ses propriétés? ... conserver sa forme, se reconnaître, rester soi-même, et être modelable “sur les bords” pour s’adapter aux nouvelles conditions, être ferme et souple, affaire de densité. Si la matière est trop rigide elle casse ou explose sous la pression, si elle est trop souple, elle s’applatit ou s’écrase.
Un seul conseil: garder la forme...


16 septembre 2006 Définition...

... petit groupe qui se déplace en autonomie dans un environnement plus ou moins hostile...
En observant le phénomène et en se fondant sur les invariants d'échelle, on peut alors le comparer au nomadisme...
Comment vit-on nomade? Quel est alors notre rapport au monde? Quelles représentations a t’on du monde et de soi quand on se déplace avec sa vie? Quel est notre rapport aux autres quand ils sont l’élément stable, la permanence? Comment s’adapte-t-on à cette inversion du rapport au monde? On devient plus léger, on ne peut plus s’encombrer en consommant, on se regroupe pour continuer à exister, si je perds le groupe, je disparais, il n’y a pas de lieu où je peux me retrouver, je suis condamné à rester dans la communauté, il n’y a pas d’ailleurs puisqu’on est en mouvement perpétuel. Mon groupe, c’est ma culture, ma survie, il n’y a pas de dehors.


21 septembre 2006 De lire à lier...

...relire, relier ...délire, délier...
Les mots échappent parfois à leur propre sens pour s'embusquer, prendre une direction inattendue et traduire des réalités imprévues. Dans la vraie vie, une rencontre s'effectue dans le temps et dans l'espace; pour qu'elle ait lieu, il faut que les deux conditions soient réunies : telle heure, tel endroit; c'est la scène du théâtre des interactions, unité de lieu et de temps... sinon, rien. Dans la vie rêvée, la lecture permet de dépasser cette nécessité. Par un simple mouvement, en toute immobilité, abandon du corps, elle va à la rencontre des hommes dans le temps et dans l'espace. Elle provoque aussi la rencontre ici et maintenant, découvrant des territoires communs entre gens de passage. Un jour, je croise un homme, qui, par le simple dévoilement de ses lectures, devient un proche... Cette révélation est toujours excitante et rassurante, comme doivent être les sentiments ressentis dans une confrérie. Appartenir à la communauté des hommes qui ont partagé ce voyage intérieur... richesse et privilège.



23 septembre 2006 Approche ...

On est toujours seul, au milieu des autres ...mais... dans son rapport à l'espace, le monde animal témoigne d'une dichotomie absolue et assez inexplicable. Alors que dans certaines espèces, les animaux éprouvent la nécessité de l'entassement et du contact physique, dans d'autres, au contraire, ils évitent tout contact. Aucune logique ne semble en apparence déterminer la catégorie où se range une espèce. Parmi les animaux "à contact", on trouve le morse, l' hippopotame, le porc, la chauve-souris brune, le perroquet et le hérisson... En revanche, le cheval, le chien, le chat, le faucon, la mouette sont des espèces "sans contact".
Quant à l'homme, il semblerait que ce soit un peu plus compliqué ... (sauf à croire en la réincarnation)

17 avril 2007

Virtuelle réalité...

Les écrans sont devenus les lieux de la rencontre, de l'échange, face à face aveugle, sans corps, mais pas sans esprit... Ici, les pensées, les "regards" se croisent, supprimant les rapports traditionnels, les divisions classiques, auteurs et acteurs d'un côté, lecteurs et spectateurs de l'autre. La scène a disparu, on est vu sans être aliéné, on voit sans exercer de pouvoir. La disparition des frontières nous entraîne dans des provinces de sens où se confondent l'imaginaire et le réel. Le lecteur de roman, le spectateur de film entre bien dans un univers imaginaire qui effectivement prend vie pour lui, mais en même temps, au plus fort de sa participation, il sait qu'il lit un roman, qu'il voit un film.
Ici, ces anciennes catégories ne nous aident plus. Les trois sphères qui structurent notre quotidien se déforment aussi. La hiérarchie habituelle, intime, privée, publique, éclate et nous recompose. La sphère intime est directement reliée à la sphère publique, bouleversant notre vie sociale... Qu'allons nous devenir ?

14 avril 2007

De l'autre côté...

Tant pis... Je ne respecte plus le protocole et j'effectue des allers-retours sur les passerelles vertigineuses entre les deux mondes, le réel et le virtuel.

1) Cette introduction explique enfin la présence de cet étrange dessin ...


2) Le 30 septembre, je postais un message qui soulevait la question du processus identitaire en jeu dans cette aventure. Il s'intitulait "nouvelles du moi", il préfigurait ce "nouveau moi à venir". Pour l'illustrer, j'avais mis une photo et son reflet, le reflet était la photo et la photo le reflet...

L’homme vit désormais en miroir de sa propre vie, il réfléchit et s’analyse, jusqu’à transformer son quotidien en objet d’interrogation comparable à l’objet d’expérimentation du scientifique en laboratoire. Son existence n’est pas celle de l’individu biologique défini par le souci vital, mais celle de l’individu libre défini par le souci de l’être. Sa vocation, c’est connaître le monde objectif, son destin, c’est vivre dans un monde subjectif: tantôt, son monde devient partie du monde objectif, tantôt le monde devient une perspective de son monde. Le monde est à la fois pour lui un monde donné qui est le lieu de ses découvertes et un monde produit qui est le lieu de ses inventions...

Prémonitoire.

3) Le troisième élément est le plus troublant. Daté du 28 novembre, c'était le plus mystérieux. Les photos que j'avais utilisées auraient dû me mettre sur la piste. J'y apparaissais dérrière le miroir, juste après le franchissement... En touriste, je prenais un cliché et faisais un signe d'au revoir...

Il dévoilait pourtant ce qui allait devenir ma condition, de l'autre côté : réduit à une gymnastique quotidienne pour continuer à exister ; toujours le même mouvement répété dans le même ordre : trois temps: apparaître, paraître et disparaître, pour que le phénomène se reproduise, relevant à la fois du continu et du discontinu. Apparaître semble aller de soi, pourtant le monde est à réinventer chaque fois ... On s'y résout sans trop remarquer l'exploit qu'on réalise. Paraître, c'est la mise en image de cette création pour la journée. .. Et puis, comme à reculons, on s'éteint, on disparaît... aux trois "clics", on réapparaît, prêt à recommencer dans ce qu'on pense être le lendemain...

Un léger frisson me parcourt...

Tout ceci se passait au début du voyage. Avant les rencontres, les échanges, qui ont donné un sens, une densité, une forme de réalité à ce nouveau monde... un début de permanence, réduisant, chaque jour, l'incertitude de l'avenir ...

11 avril 2007

La toile...

Un jour, le commentaire devient plus important que le texte. Pour continuer la conversation entamée dans la cour, je reviens à la surface et j'ouvre cette fenêtre.

"La peinture s'arrête à la surface, c'est sa nature et sa limite, son problème."
Je ne “vois” pas comment contester ce truisme. Certains ont bien essayé de considérer le support, mais ça n’ajoute pas grand chose au débat.

“Les peintres sont superficiels”. C’est leur condition qui l’impose, se débrouilller avec la surface du tableau, en rester là. Confrontés à ce “problème”, ils font leur petite cuisine, leur métier.

"Ils n'ont rien à dire."
S’ils avaient quelque chose à “dire”, ils le diraient. C’est le spectateur qui parle, de lui.

"Ils sont seuls dans leur tour "d'y voir"
La rencontre ne peut se faire, il n’y a pas de lieu, pas de temps. Une oeuvre d’art impose un présent qui ne peut rien assumer ni entreprendre, un présent qui n’est celui de personne, un “instant impersonnel et anonyme”.

Le spectateur travaille aussi, sa sensibilité aux contours et aux couleurs évolue, il découvre, s’engage, affine ses perceptions, sa culture transforme son regard... mais la seule chose qu'il ne saura jamais sur un tableau c’est combien il l’aime.



LA TOILE

Considérons une toile d'araignée. L'araignée ne sait rien de la mouche, et ne peut en prendre les mesures comme le fait un tailleur avant de confectionner un habit pour son client. Cependant elle détermine la grandeur des mailles de sa toile selon les dimensions du corps de la mouche et mesure la résistance des fils en proportion exacte de la force de choc de la mouche en vol... Les fils de la toile sont exactement proportionnels à la capacité visuelle de la mouche, qui ne peut les voir... Les deux mondes perceptifs de la mouche et de l'araignée sont absolument non communicants, et cependant si parfaitement accordés que l'on dirait que la partition originale de la mouche agit sur celle de l'araignée de telle sorte que la toile qu'elle tisse peut être qualifiée de "mouchère". Bien qu'aucun animal ne puisse entrer en relation avec un objet comme tel, mais seulement avec des porteurs de signification, la toile exprime la paradoxale coïncidence de cette cécité réciproque...


Ces bouts de suite doivent presque tout à Beckett, Levinas et surtout Agamben à qui j'ai emprunté ce texte pour en faire cette petite fable " La mouche et l'araignée"...


08 avril 2007

Limites...

Je ne serai pas peintre. Je suis, comme en tout, un promeneur du dimanche. Se dresser, affronter debout les éléments déchaînés, très peu pour moi... J'ai saisi les mouvements du vent, j'ai deviné les risques dans les nuages noirs et lourds, je sais les reconnaître mais je préfère m'abriter.
J'aime en parler, les regarder chez les autres, les partager, un peu...



Il y a une autre raison. Je suis impatient. Une fois commencé, mon tableau doit être terminé, une séance, une seule, elle peut se prolonger, je sais rester concentré le temps qu'il faut... Mais une fois sorti, je ne retrouve plus l'accès, je suis passé à autre chose. Et Matisse est catégorique: " La puissance et la vitalité d'un artiste se mesure à sa capacité à organiser ses sensations et à revenir plusieurs fois, à des jours différents, dans un même état d'esprit, à les continuer... Un tableau est une lente élaboration. Dans la première séance, on note les sensations fraiches et superficielles"... Je suis resté à la surface...


05 avril 2007

Constitution...


Quelles sont les règles qui régissent nos rapports sur cette planète. Qui définit et pose la loi ?
Personne, chacun, tout le monde. C'est la confusion qui règne. Alors, j'ai relu mes premiers billets en postulant qu'en les écrivant je traçais inconsciemment des limites pour survivre sur cette terre inconnue. Les lois de la planète Terre ne m'intéressaient pas. Elles ont conduit à l'aliénation, l'inégalité et la haine... Je voulais, sûrement, en venant dans ce nouveau monde, changer les choses...
Bonne pioche.
J'ai trouvé deux textes qui définissent clairement le code que je choisissais de poser et de suivre. Je remarque que ce sont les seuls textes dont je ne suis pas l'auteur. Le premier est une déclaration. Le deuxième est une série de prescriptions. Je vous les livre à nouveau, replacés dans cette perspective. Aujourd'hui, je n'ai rien à ajouter. Ils sont ma Constitution.

Déclaration
Notre condition n'est ni tragique ni frivole, mais simplement sérieuse...
Le « tous les jours » est le régime éthique de la continuité vertueuse par opposition à l'intermittence esthétique. L'héroïsme est spasmodique, mais la vertu doit être chronique: que dirait-on d'un juste qui n'aurait de vie morale que le dimanche?
Le comportement doit être conforme au devoir sans être inspiré par le devoir.
L'idée d'une charité professionnelle est à peine moins ridicule que celle d'une gaité professionnelle, d'un humour professionnel ou d'un charme professionnel: car la joie, l'humour et le charme sont des mouvements qui exigent toute la fraicheur et toute la pudeur de la spontanéité.
Le devenir n'est pas seulement la propulsion par l'instant, il est encore le mouvement acquis; il est retentissement, mémoire et immanence du passé au présent; l'homme du remords ne le sait que trop bien.
Le commencement dépend de nous, mais la continuation dépend du commencement une fois posé et suit inexorablement son cours, même si nous cessons de la vouloir.
Pour commencer, il faut commencer par commencer. Dans l'art du commencer rien à apprendre. On n'apprend pas à commencer, mais seulement à continuer.
Pour ce qui est de vouloir, nul ne peut me remplacer.
Si le courage est la vertu de l'instant, la fidélité est la vertu de l'intervalle.
Le courage est la vertu inaugurale du commencement, de même que la fidélité est la vertu de la continuation et le sacrifice celle de la fin. Il faut du courage pour rester fidèle. La fidélité est un courage opiniâtrement continué.
Pour avoir du courage, il est nécessaire d'avoir peur. C'est la peur surmontée et non l'absence de peur qui faIt le courage. Le courage ne peut ête ni thésaurisé ni capitalisé.
La fidélité est la vertu du temps continu comme le courage est la vertu du passage à l'acte. L'important est d'être fidèle par amour, non par contrainte ni par ascèse. Le fidèle suit sa voie quoi qu'il arrive, et jusqu'à l'absurde s'il le faut. C'est peut-être dans cet entêtement paradoxal de la volonté que la constance du sage est la plus belle.
Celui à qui manque une seule vertu n'en a aucune, celui qui en a une les a toutes. Philosophie stoïcienne du « mélange total ». Que serait la sincérité sans le courage? La charité sans la modestie...
Vladimir Jankélévitch ( à partir du Traité des vertus )

Prescriptions

Ne t'attarde pas à l'ornière des résultats.

Tiens vis à vis des autres ce que tu t'es promis à toi seul. Là est ton contrat.

Hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux, de rebellion, de bienfaisance.

Enfonce-toi dans l'inconnu qui creuse. Oblige-toi à tournoyer.

Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque.

Imite le moins possible les hommes dans leur énigmatique manie de faire les noeuds.

Donne toujours plus que tu ne peux reprendre. Et oublie.

Ne te courbe que pour aimer.
René Char

03 avril 2007

Fonction...

Le peintre, comme un géomètre, place des points, trace des lignes, donne une forme à son chaos intérieur.
Les linéarités arrachées et déposées sur la toile reflètent sûrement les tourments de l'âme, agitée puis calmée par l'apparition des traces... Des images imprévisibles surgissent de cette bataille...




Ce dessin fait partie des dernières séries, à la fin des années quatre-vingt-dix. Je continue à l'apprécier, il est le décor. Un tableau, avant d'être une image et un objet, est un morceau d'espace. Posé sur un mur, il devient élément de l'installation qui constitue notre environnement. Il transforme notre perception, cassant des lignes, définissant des zones d'ombre et de lumière. Aujourd'hui, seul le désir de modifier ces rapports me pousse à reprendre les armes.

Message...

Chères unes et chers autres,

Je ne suis pas indifférent aux remous qui agitent notre quartier. Les questions soulevées par Fishturn, Elle, Magwann, Crocodile, Greg, Well, Mesuline, Benoît...me touchent et je suis préssé d'en découdre, de tisser des liens, de discuter des motifs, bref de participer. Je collecte patiemment vos remarques sur ces problèmes (notre survie en dépend) avant de les partager avec vous. Je voudrais juste en terminer avec "ma petite histoire de ma peinture", avant. En espérant qu'il ne sera pas trop tard, que vous ne serez pas tous partis vous installer ailleurs, je vous assure de toute ma considération et mon amitié...

DD

31 mars 2007

Tableaux...

(panneaux rigides et autonomes...)


Bon, à un moment ou à un autre, il faut bien s'y résoudre, on n'est pas peintre juste en faisant des gribouillis sur un morceau de papier. L'artiste doit produire des tableaux de grande dimension, des objets encombrants, en correspondance avec la taille de son talent. Comme tout le monde, je m'y suis collé. Le panneau qui te dépasse, que tu déplaces avec peine, qui te donne l'illusion que ton art t'englobe, t'absorbe... Papier marouflé sur bois, un mètre carré. Du solide. Il vaut mieux les exposer et les vendre plutôt que les entasser, cruel embarras du peintre prolifique et méconnu.




Le côté surprenant des grands tableaux, c'est la disparition du temps pendant la confrontation. Impossible de savoir si une heure, quatre heures, onze heures sont passées, le temps ne s'écoule plus, il reste sagement immobile pendant que tu t'agites avec tes crayons, tes plumes et tes pinceaux. Le temps de la peinture est à la fois suspendu et muet...

28 mars 2007

Dessins...



C'est la base. En général, on commence tôt, sur les bancs de l'école, dans les marges des cahiers, pendant l'ennui des heures lentes, insipides, identiques, qui s'écoulent inexorablement du matin au soir, du lundi au samedi. Le dessin installe le corps dans une posture institutionnellement acceptable et remplit le vide de ces journées molles. Tenir, résister, c'est le cri silencieux du petit dessinateur. Le crayon, devenu baguette magique, glisse discrètement sur le papier, crée des univers parallèles, peuplés d'êtres étranges. Il est doux, calme, il file droit, obéit à la main, l'oeil suit tout ça de près, attentif et intéressé. Ma préférence va aux têtes, mais j'ai un faible pour les nuques et les feuillages...







25 mars 2007

Abstrait...


Un jour, on prend conscience de l'enjeu, un morceau vide du monde à remplir avec les moyens du bord. Peu importe qu'il représente quelque chose ou pas. C'est du pareil au même. On doit associer traits, formes, taches, couleurs, sur une surface, verticalement donnée au regard. Voilà le problème. Il faut résoudre les tensions entre l'ombre et la lumière, le clair et l'obscur, le vide et le plein. Il n'y a ni centre ni périphérie, plus de sujet, juste un objet dont on doit modifier la surface pour attraper et retenir le regard. En abandonnant l'artifice de la figuration, on est confronté à une sacrée solitude. Certains vident leur colère, d'autres donnent une forme acceptable à leur violence, c'est dans la retenue ou l'abandon que se situent les solutions. Rothko enfermait sa souffrance dans des grands aplats colorés, Pollock se jetait, se répandait sur la toile. Choisir l'abstraction, c'est naviguer entre ces deux extrêmes. L'abstraction est sans pitié, elle met l'homme face à son destin et le laisse se débrouiller avec ses maigres forces...

22 mars 2007

Collage...


Le collage, c'est mon truc. D'abord, j'ai horreur de me salir, je redoute les produits toxiques, les mélanges sans fin, les odeurs agressives, les préparations, la cuisine du peintre. Le collage, c'est idéal pour les paresseux. C'est de la création tranquille, pas besoin de faire des plans, des ébauches, des esquisses, tout est simplifié. Dans un carton, il y a les papiers de toutes les tailles, toutes les couleurs, toutes les nuances, tu l'ouvres, tu regardes, tu choisis un morceau, tu le poses et les autres s'imposent les uns après les autres. Tu découpes, tu déchires, tu changes l'ordre des superpositions. Sous tes yeux, les équilibres et les déséquilibres se succèdent. Le plus difficile, c'est de retenir une tension, un équilibre instable et complexe, comme la vie...

19 mars 2007

Couleurs...


C'est pas mon fort. Un peintre, ami cher, me répétait sans cesse cette parole Cézanienne "Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude". C'était, paraît-il, la clé. J'ai retenu la formule mais je n'ai pas trouvé l'entrée. J'ai fait des essais, mais le résultat est resté enfantin, du coloriage...




C'est sûr, ça fait peur à personne et ça décore joliment la chambre des petits enfants...

16 mars 2007

Les foules...

Après la série des portraits, des foules d'hommes anonymes à chapeaux ont envahi mon paysage mental. Que venaient-elles faire, qu'avaient-elles à me dire ? Je ne sais pas. Un jour, elles ont disparu et d'autres images se sont imposées. J'aimais bien dessiner ces individus, serrés les uns contre les autres. Il fallait remplir tout l'espace de manière à la fois uniforme et aléatoire. Avec cette série, j'ai pris conscience d'une des composantes de l'image, la surface disponible n'est qu'un fragment, le sujet est partout, il déborde même...



Remarque
Je commençais toujours par dessiner les chapeaux qui sont des formes simples, abstraites, faciles à faire varier. Ensuite, les positions de la tête puis du bout de corps s'imposent, naturellement.

14 mars 2007

Silencieux...

En attendant que les mots reviennent, s'ils reviennent, des images pour passer le temps et occuper l'espace...




Au milieu des années quatre-vingt, j'ai fait une série de portraits à partir de photos prises pendant la crise économique des années trente aux Etats-Unis.
Je n'ai jamais compris pourquoi certains thèmes s'imposaient. Quand ils commençaient à m'occuper, il fallait les décliner, et puis un jour, c'était fini, je n'avais plus rien à faire, à voir avec eux. Si on m'en demandait encore un, c'était presque un supplice que de s'y recoller, une espèce de dégoût...

11 mars 2007

Voyage...



Treize février deux mille six...
Malgré la neige, nous prenons la route. Nous traversons la république tchèque pour rejoindre Vienne. L'autoroute est fermée et nous nous engageons au petit bonheur la chance sur les axes secondaires. Rapidement, nous sommes seuls. Dans la voiture, nous ne faisons aucun bruit, nous surveillons. Les paysages sont monotones, le gris et l'incertitude ont fait monter la tension. La traversée des rares villages devient même inquiétante. Tout est fermé, vide, les lumières sont éteintes, il n'y a aucun véhicule au bord des trottoirs. On supporte bien le silence des espaces sauvages, mais l'opacité sourde qui enveloppe ces lieux habités est insoutenable. On veut fuir et pour se rassurer, on préfère imaginer des histoires invraisemblables qui expliquent le départ précipité des habitants...
C'est "Le chercheur de traces" de Imre Kertész qui m'a fait repenser à cette journée. Une écriture qui élimine, écarte, gomme, ne laissant que quelques traces sur un sol glacé, difficile à suivre.

08 mars 2007

Salle d'attente...


Je ne sais pas si vous connaissez Jean Paul Dubois, c'est un auteur que j'aime bien. J'ai lu tous ses romans. Aujourd'hui, pour attendre chez le médecin, j'avais emporté "Parfois, je ris tout seul". La salle était pleine quand j'ai été surpris par mon premier rire. Je l'ai à peu près contenu; le deuxième a été plus difficile à cacher et, au troisième, je riais à chaudes larmes, tout en cachant le titre du livre. Alors, j'ai arrêté, j'ai fermé le livre, je me suis calmé et je me suis recomposé une figure de patient conforme... En rentrant à la maison, j'ai repris ma lecture et quand j'avais envie de rire, je riais, tout seul.


Souris
"Le jour où ma femme m'a quitté, je n'ai rien dit, je n'ai rien fait, je ne suis même pas sorti de mon appartement. Je suis resté chez moi, seul, et je n'ai rien modifié à mes habitudes. J'ai pris une douche et j'ai mangé en regardant la télévision. Puis j'ai fumé une cigarette, debout devant la fenêtre. Avant de me coucher, je suis allé chercher la souris blanche dans sa cage et je lui ai arraché la tête avec les dents."

Heures
"Il est quatre heures de l'après-midi. Je suis dans la salle de bains. J'ouvre les robinets de la baignoire, du lavabo, je m'assieds sur la lunette des toilettes et les yeux fermés j'écoute le bruit de l'eau.
Il est cinq heures de l'après-midi. Je suis dans mon fauteuil, je regarde la télévision sans le son et je mange des dattes. Je crache les noyaux sur la tête de mon chien.
Il est six heures de l'après-midi. Je suis allongé sur mon lit et, sans quitter ma montre des yeux, je retiens ma respiration le plus longtemps possible. Je dépasse largement la minute.
Il est sept heures du soir. Je suis dans la cuisine, je branche mon transistor à ondes courtes et j'écoute parler des gens dont je ne comprends pas la langue.
Il est sept heures trente. Le journée est finie. Je vais me détendre un moment au salon."

01 mars 2007

Vacance...




Promenades à Budapest, pour découvrir les mots et suivre les pas de Imre Kertész ...

27 février 2007

Les irréductibles...

Les éclaireurs ont résisté à la tentation. Ils se sont assis sur le rebord du monde pour regarder le spectacle des hommes. Marc Aurèle et Wittgenstein ont une autre nature. Ils sont restés indifférents à ce qui fait courir les autres hommes, le pouvoir, la richesse et la gloire. Ils ont tous les dons, tous les talents, pourtant ils vont renoncer pour vivre comme ils l’entendent, dans l’humilité et l’austérité. Courageux, déterminés, ils seront généreux et simples. Leur oeuvre et leur vie, intimement liées, s'entrexpriment, reflétant la même exigence éthique et la même intensité intellectuelle.

Wittgenstein, né à Vienne en 1889, part en Angleterre à 18 ans et s’inscrit à la section de mécanique de l’Université de Manchester. Il consacre toutes ses activités à la recherche aéronautique, puis délaisse l’invention pratique pour l’étude des mathématiques pures. Il a vingt ans. Après un séjour en Allemagne, il étudie la philosophie à Cambridge avant de séjourner une année en Norvège dans une cabane qu’il a construite. C’est un musicien averti, très bon clarinettiste, il est attiré pendant une période par la carrière de chef d’orchestre. Il étudie aussi la psychologie expérimentale. En 1914, il s’engage dans l‘armée autrichienne, sert dans la marine, puis devenu officier, il prend part aux combats; en 1918, il est fait prisonnier et passe pluisieurs mois dans un camp, au sud de Italie. A son retour, il se débarrasse de la fortune héritée à la mort de son père et vit avec une extrème frugalité. Il n’a pas encore 30 ans. Célébré pour ses textes philosophiques, il refuse les titres et les honneurs et devient instituteur. Il enseigne pendant six ans dans des villages en Basse Autriche avant de s’ employer à des travaux de jardinage dans un monastère. Il les interrompt pour se consacrer, pendant deux ans, à la construction, dans les moindres détails, d’une grande maison destinée à l’une de ses soeurs. Il utilise aussi, à cette période, l’atelier d’un ami, pour sculpter. Puis, il visite l’URSS, apprend le russe, et se réinstalle pour une année dans sa cabane en Norvège. Il a aussi repris son projet philosophique et il est nommé titulaire da la chaire de philososphie de Cambridge. Quand la deuxième guerre mondiale éclate, il s’engage dans le service de santé de l'armée britannique, il est d’abord brancardier, puis affecté dans un laboratoire. En 1947, il démissionne de l’université de Cambridge et s’isole du monde. Il s’installe dans le nord de l’Irlande, dans une cabane proche de la mer...
Mais l’histoire la plus étonnante qu’on raconte sur lui est la suivante... Wittgenstein et Hitler étaient en classe ensemble, une photo en témoigne. Il est même probable que l’antisémitisme d’Hitler se soit développé en réaction à la personnalité de Wittgenstein... Pendant la deuxième guerre mondiale, Wittgenstein aurait aussi été un agent recruteur au service des russes. Le Juif qui, le premier, a implanté en Hitler sa judéophobie, serait le même Juif que celui qui renversa le Reich en faisant passer les techniques de décryptage de codes et de chiffres entre les mains de l'armée rouge...

L'oeuvre philosophique de Wittgenstein est considérable. Elle défait les noeuds et éclaire les obscurités du langage. Elle bouleverse la compréhension que nous avons de l'extériorité, de l'intériorité et de leur relation. Ses derniers mots furent : « Dites-leur que j'ai eu une vie merveilleuse. »

Marc Aurèle a écrit un carnet rassemblant ses pensées. Les romains, en écrivant, ne visaient pas la lumière d'un non-dit, mais la reprise méditative d'une sagesse consistant à s'atteindre, à vivre avec soi. Voici les pensées que l'Empereur notait, pour lui-même, il y a presque deux mille ans...

"Le petit métier que tu as appris, aime-le et donne-lui tout ton acquiescement. Le reste de ta vie, passe-le en homme qui, de toute son âme, compte sur les Dieux pour tout ce qui le concerne, et qui ne fait ni le tyran ni l'esclave d'aucun des hommes."

"Réfléchis souvent à la liaison de toutes choses dans le monde et à la relation des unes avec les autres. En un certain sens, elles sont toutes tressées les unes avec les autres, et toutes, par suite, sont amies les unes avec les autres. L'une, en effet, s'enchaîne à l'autre, à cause du mouvement ordonné, du souffle commun et de l'unité de la substance"...

24 février 2007

Sieste...


Bercé par votre présence chaleureuse et nos conversations légères dans l'arrière-boutique, je n'ai rien préparé.
Il faudra se contenter des restes et, cet après-midi, je préfère relire les jolies choses que nous avons dites ces jours-ci...

20 février 2007

Les éclaireurs...


Ils ont parcouru des chemins sur lesquels je m'aventure, parfois. Ils sont à mes côtés pour franchir les obstacles. Ils sont la lampe frontale qui vient éclairer le passage difficile. Ils n'éblouissent pas avec leurs lumières. Ils n'ont pas de système à vendre. Ils sont passés par là et connaissent le terrain.
Blanchot, je le fréquente très peu, il est si silencieux, discret, neutre, pâle, presque invisible. Il incarne la "solitude essentielle".
Pessoa, je l'ai rencontré par hasard, j'ai fait la connaissance des personnages qui l'habitent. Seul Bernardo Soares m'est vraiment proche. Il met en mots mes propres pensées, en choisissant les phrases que je ne trouve pas... C'est devenu un familier.
Cioran est un parent éloigné, exilé, qui me fait plier de rire à la fin des repas en racontant l'absurdité du monde. Il me dit aussi que je ne suis pas obligé de participer, de courir en suivant les bruits et les lumières de la ville. Il me répète que je suis libre et responsable de cette liberté.
Char est énigmatique, pas facile d'accès. Sa carrure, sa grosse tête m'impressionnent. Je marche à ses côtés au bord de la rivière, je ne dis rien, j'écoute et j'attends qu'il lâche quelques mots. Je m'empresse de les noter pour les examiner plus tard, tranquillement, au coin du feu.
En résistant, en renonçant, ils ont placé des signaux sur le parcours, dessinant la frontière entre le possible et l'impossible. Ils n'imposent rien, ils n'ont pas de biographie... il faut leur faire confiance...

16 février 2007

Entracte...

Dessin plume et encre de chine, vers 1986

Les marcheurs qui s'aventurent loin des sentiers battus et partent à la conquête de terres inconnues ont toute mon admiration. J'aime suivre leurs pas, parcourir après eux les espaces qu'ils ont découverts. Leurs expériences limites posent des balises, des repères dans la nuit. Ils indiquent la direction à suivre quand le chemin devient difficile. Je n'ai pas l'âme d'un aventurier, je suis un promeneur du dimanche et ces hommes sont mes héros. Chacun a pour moi une valeur particulière, il a ouvert une possibilité d'être, de résister au quotidien, au conventionnel, à l'ordre, à l'attendu. Je n'aime pas trop fouiller dans leur vie, je me contente de bribes et de leur oeuvre. Marc Aurèle, Cioran, Wittgenstein, Blanchot, Pessoa, Char sont mes porteurs d'eau. Ils me soutiennent et m'accompagnent. Chacune de leur existence résonne en moi et je me sens redevable du don qu'ils me font.

14 février 2007

Planète blog, acte III scène 3

Foule 17, 1984

J'ai ouvert la boîte et je ne m'en sors pas. Hier soir, débordé par le flot de questions soulevées, j'écrivais " Je bouillonne mais votre absence rend la tâche surhumaine... Nous sommes un livre ouvert qui s'écrit à plusieurs têtes."

Afin d'y voir un peu plus clair, je dépose ici ce que nous avons mis, les uns et les autres. Je pose en vrac, j'ai bien essayé de faire des rangements organisés, le moi, le toi, le soi, le multimoi, le nous, le vous, le vous et moi, l'autre, la présence et l'absence, le "il y a" et le "je suis", le réel et le virtuel... J'ai aussi tenté une présentation par champ, mais le résultat est le même, il y a des morceaux partout, des trucs qui restent dans un coin, d'autres qu'il faudrait mettre dans chaque catégorie...

“Etranges liens d'une toile tissée de plusieurs sens uniques, qui toutefois parviennent à se croiser quelquefois.Mysterieuses attaches qui ressemblent à de l'amitié parfois. Une amitié sans implication pourtant...Toute une contradiction.”
“Derrière nos écrans, chacun de nous est susceptible d'être en lien avec, d'aller à la rencontre de gens de tous horizons, que le monde réel, notre environnement, nos lieux de vie, nos modes de vie et pensée, n'auraient pas permis. A l'heure où nos libertés individuelles se réduisent à une peau de chagrin, où les espaces d'expressions sont trop souvent torpillés, c'est peut être cela qu'apporte internet/blog/my space: des espaces d'expressions,libres, où l'on se fout de votre pedigree, de votre CV, de vos appartenances familiales, de votre capital bourdieusien. Cela rend l'émergence de communautés planétaires possible, et affranchie des transports physiques.”

"Je ne crois pas à la virtualité de cet espace qui permet des rapports sans rapports etc. car il y a un précédent de taille auquel nous accordons la plus grande réalité : le langage même. Non pas le langage comme simple outil, mais comme espace même de notre penser. Le langage FAIT espace est notre toute première agora. Qu'il faille s'en réjouir ET le déplorer c'est une autre histoire. Gageons cependant que celui-ci d'espace (blogosphère) nous dégage justement un peu du langage-espace hiérarchisé et nous "compétitifiant" les uns les autres, au profit d'un langage plus horizontal, moins fonctionnel, plus propice à réintroduire entre nous des sentiments naturels liés au dialogue.”

“Oui le monde des bloggeurs est virtuel et pourtant infiniment réel, profond, les amitiés voire les amours y sont souvent fortes, le fait sans doute de ne pas se connaître physiquement y incitent avec une certaine dose de fantasmes ...”

“"Alors outre les blogs d’inventaires et les blogs militants, les seuls blogs qui célèbrent l’Agora sont peut-être ceux nourris de notes éphémères, ou encore ceux où les auteurs déposent simplement ce qu’ils ont personnellement à dire. " Cette note qui dévoile une nouvelle Agora m'a marqué. Cette spécificité, dans le rapport d'égalité qu'elle instaure entre des individus libres, restaure un espace disparu, celui de la discussion, cette parole non figée par l'écrit.
Par delà cette conquête, nous découvrons la nature des relations qui pouvaient alors exister et que nous avons oubliées. Cette relation a tous les critères de l'amitié, réconciliant l'espace privé et l'espace public, ethique et politique ne faisant plus qu'un. Je me sens proche de vous dans un rapport que je ne connaissais pas. Vous êtes entrés dans mon existence et vous êtes devenus importants mais nous ne nous devons rien.”

“ J'aime ces rencontres virtuelles, qui ne remplacent pas les "réélles", mais qui les complètent. C’est une autre façon de communiquer, différente de la tradition epistolaire, car rapide, presque immédiate, et variée. La blogosphère est un véritable monde qui se sustitue à celui auquel on s'était habitué. Tout est concentré ici.”

“ lAttention à l'enfermement, même si c'est dans un monde aussi "ouvert" que la blogosphère,reste vigilant...”

“Je n'échange pas car je ne vous parle pas. Je prends, je ne donne pas. Les commentaires, au contraire du blog lui même, me semblent bien trop souvent egotistes (est-ce le bon sens de ce mot? centrés sur la seule personne de l'écrivant écrivain qui se met en scène et ne souhaite pas partager autre chose qu'une façade. Triste pensée ou réalité? “

“Dans ce monde, ondoyait une infinité de phrases solitaires qui s’y regardaient attentives et s’y croisaient parfois sans se voir. Des phrases empreintes d’une humanité qui s’emparait et réchauffait sans repis un espace technoïde trop longtemps gelé. Des mots qui s’entassaient parfois, jusqu'à former des montagnes de contradictions aux sommets inatteignables. J’y entrai, dans ce monde, muni d’un petit sac rempli de lettres, de petites lettres rien qu’à moi, conservées depuis lors avec beaucoup d’attention, dans le doux secret des jours intérieurs. Je les éparpillai alors, à droite à gauche parmi celles des autres qui étaient arrivés avant moi. Je regardai mes lettres qui formèrent des mots à leurs tours et je restai là, immobile, interrogatif et inquiet, à les observer. Et puis je vis, je vis mes mots qui s’échappèrent, qui se faufilèrent au milieu des autres, qui se mirent à tournoyer en farandoles jusqu'à s’éparpiller partout en territoire inconnu. J’esquissai le sourire, celui de l’enfant qui libère l’oiseau, et j’attendis secrètement qu’ils reviennent…Ils ne revinrent pas bien sûr. Mais je reçu en retour des mots venus d’ailleurs, de douces paroles à boire, de celles qu’on sirote le soir entre amis aux comptoirs des petits cafés, de celles qu’on susurre à l’oreille aussi, de celles qui vous questionnent, qui vous secoue doucement l’épaule et vous encourage. Je pris les paroles, les plongeai furtivement dans mon sac, désormais vide de mots, je regardai le ciel et repris mon chemin.
C’est un monde aux milliers de mots…qui pourrait bien vous tirer des larmes.”

“J'aime beaucoup la dimension "rencontre" des blogs. Notre animalité physique en étant exclue, reste un rapport qui se créé (ou pas) entre des êtres géographiquement éloignés (ou non). Avec certaines et certains se noue un lien de proximité- intellectuelle, artistique, affective- désincarné, mais réél.
c'est étrange et fascinant.”

“ "Accoucher de soi-même à plusieurs" : tel est, à mon sens, l'amitié que nous nous faisons les uns les autres sur la blogosphère, pour peu qu'on y consente personnellement. C'est cet aspect maïeutique de nos relations dites "virtuelles" qui joue le rôle à la fois de garde-fou (contre des fantasmes aussi dévastateurs qu'infondés) et de garant de l'objectivité (du bien-fondé) de nos dires. Ici, notre existence est incertaine...”

“Sommes-nous présent ou absent ? réel ou imaginaire? sujet ou objet ?...
C'est, je crois, ce caractère indécidable qui exerce cette fascination et ces projections. Il y a de la rugosité dans la blogosphère...”

“On s'interroge, on se touche, on se gratte la tête, on s'épouille les uns les autres, sans même jamais se connaître...
Ici, on peut tout se dire, et chaque mot se greffe à nous pour nous pousser... vers quoi ?
Un grand monde qu'on rêve être le nôtre ?
Se retenir à nous, se retenir à soi...”

“Ces rencontres et ces échanges ressemblent à ceux que l'on aurait dans des musées et des bibliothèques où la parole serait encouragée. Assemblées sans statut, membres sans condition.”

“Ce qui me questionne, pratiquant moi-même le blog depuis peu, c'est la virtualité de la rencontre. "Sommes-nous sujet ou objet ? ". Les deux probablement, toujours, ici comme dans la réalité. Mais en définitive qu'est-ce qui est le plus réel ? Ces faux-semblants dont nous usons pour tenir les masques sociaux ? Ou ces échanges à distance et en intériorité ? “

“Notre statut, notre réalité, notre identité sont remis en question par cette virtualité, et cela nous l'acceptons. Mais le plus surprenant c'est que ces questions se transposent dans le monde que l'on appelait réalité. Ce reflet nous révèle à nous-mêmes et nous montre ce que nous sommes... en réalité.
Le fait d'être nombreux à penser des choses si proches, si loin des conversations quotidiennes est encore plus étonnant.”

“et à la fin retourner dans l'autre monde .. quel est donc le vrai ?? “

“..avec moins de limites entre les "deux mondes".

“En soi tous les mondes qu'ils soient subjectif ou objectif ou ??? ... se cotoient au gré de nos fantaisies, naturellement !”

“Fantaisie et nécessité, nous jouons d'inscriptions dans des logiques de vies alternatives et plurielles qui s'actualisent ou restent rêvées...”

“Il y a 32 ans maintenant, Roland Jaccard voyait déjà que contrairement aux sociétés archaïques, "dans nos sociétés modernes, l'autre est réduit à une pure fonction instrumentale; nous le côtoyons, mais nous ne le rencontrons jamais." Il définissait l'exil intérieur comme étant "ce retrait de la réalité chaude, vibrante, humaine, directe; et le repli sur soi; la fuite dans l'imaginaire". Dans son ouvrage "L'exil intérieur. Schizoïdie et civisation" il essayait de répondre à la question de savoir par quel processus la sphère du privé nous a conduit à cette schizoïdie généralisée.
Cela considéré, la question aujourd'hui est de savoir si cet écran de 17 pouces va enfin nous guérir ou nous donner le coup de grâce.”

“Se rencontrer à nouveau, dialoguer à nouveau : recréer ici l'espace originel de la philosophie, c'est-à-dire pour nous, véritable gageure aujourd'hui : un espace plus fort que la philosophie actuelle même !
A mon sens c'est possible, mais les conditions à remplir pour de véritables rencontres nécessitent de vaincre bien des désirs et autres sales habitudes...”

“Attention, trop bloguer conduit à un dédoublement de la personnalité . Bon nombre de blogueurs sont devenus des amis et quelques amis sont devenus des blogueurs donc pour moi la frontière entre les deux mondes a été effacée depuis longtemps...”

Voilà le travail...

10 février 2007

Planète Blog, acte III scène 2


Il arrivait, posait son cartable sur le coffre. Il le ramenait tous les soirs par habitude, mais il ne l'ouvrait jamais.
Il enlevait sa veste, la jetait sur le fauteuil où elle resterait jusqu'au matin, puis il se lavait soigneusement les mains, ouvrait nonchalamment son courrier, rangeait les factures dans un gros dossier où elles attendraient la dernière échéance, jetait les envelopppes après les avoir froissées et réduites en boules compactes puis il se dirigeait vers son bureau sans éclairer la pièce. Il s'installait sur la chaise pivotante après avoir réajusté les deux pieds instables, se frottait inconsciemment les mains, débloquait l'écran, l'ouvrait, appuyait sur "on" et attendait. Son corps commençait déjà à le quitter... Dans quelques secondes, quand la lumière bleutée aurait fait son apparition, il l'oublierait.
Le fond d'écran, les icônes. Il pouvait commencer. Il cliqua. La machine s'affairait, on entendait un léger ronron, les fenêtres s'ouvraient et se superposaient. Il aimait voir tourner la petite roue qui indiquait la recherche des nouveaux messages... et puis le bip suivi de l'affichage. Comme sa vue avait baissé, il devait s'approcher pour déchiffrer le nombre de messages reçus. Un clic et un coup d'oeil.. Il effaça les publicités et consulta les autres messages. Il y avait des commentaires sur le blog. Il attendrait d'être sur le site pour les découvrir. Pour l'instant, il choisissait la musique qui allait l'envelopper pendant cette nouvelle séance. Il lui restait à consulter le compteur, un pincement d'impatience pendant le chargement, et l'affichage de la statistique, implacable. Depuis quelques semaines, le nombre de visiteurs avait crû de manière importante, presque doublé. Cet indicateur le rassurait, une douce chaleur l'envahissait. Il se sentait bien. Il pouvait enfin ouvrir le blog, lire les commentaires qui avaient été déposés, par les habitués, les anonymes et les nouveaux venus. Cette rencontre, toujours imprévisible, l'enchantait. Il lisait attentivement chaque phrase, la faisait tourner pour en savourer le sens. Avant de répondre, il préférait lire les autres blogs, ceux qu'il avait selectionnés jour après jour. Ils étaient devenus familiers, leur mise en page, leur manière d'aborder les questions, leurs habitudes langagières. Quand un texte faisait écho, il prenait le temps de chercher quelques mots pour dire qu'il était passé, qu'il avait apprécié. Au début, il avait trouvé ça difficile, d'écrire en aveugle et puis à force de citations recopiées, il avait pris une certaine confiance et maintenant, il préférait laisser ses propres mots. Ensuite, il fermait les fenêtres, ouvrait la page de ses textes, et, entouré de carnets, de notes, de livres et du dictionnaire, il se mettait au travail. Quand il jugeait qu'il avait terminé, il jetait un dernier coup d'oeil à son courrier, rangeait ses affaires, éteignait l'ordinateur, allumait la lumière, récupérait son corps et retournait dans l'autre monde...

07 février 2007

Planète Blog, acte II

Pommes (1995), sur la table du salon...

Plus les commentaires sont nombreux et détaillés, plus ils influencent l'écriture. Depuis quelques temps, mon sujet s'est déplacé, il change de forme. Votre participation modifie ma perception. Sans vous, j'aurais continué ce dialogue tranquille que j'avais engagé avec moi-même. En intervenant, vous m'interrogez, m'obligez à m'arrêter et à examiner ce que je transporte. Cette semaine a été fructueuse. J'ai découvert des choses impensées ... En réponse à un commentaire, j'ai ainsi pu écrire "... des mots, des sons, des images pour échapper à l'effroi ressenti à la surprise de rencontrer quelqu'un en soi et de devoir faire face à la part impersonnelle qui nous habite, part que nous avons nécessairement en commun... émerveillement quand la part de l'autre se manifeste et vient à ma rencontre..." J'ai aussi trouvé: "Je Te parle de Lui, cet autre, impersonnel, que nous avons en commun."
Cette aventure "endotique" sur une terre inconnue, ici la planète Blog, est analysée par Remo Bodei: "Traversant des espaces logiquement intraversables, nous franchissons sur l'aile du désir le miroir qui sépare le réel de l'imaginaire et pénétrons dans un monde sans épaisseur qui paraît plus riche de sens que l'univers tridimensionnel où nous vivons effectivement. Nous sommes poussés vers une zone d'irréalité véridique ou de déréalisation qui nous satisfait, vers une illusion plus vraie que toutes les réalités qui nous entourent. Ainsi s'ouvrent d'improbables et imprévisibles fenêtres de sens, des mondes et des enclaves bénéficiant par rapport à la réalité et au temps chronologique d'une extraterritorialité, qui nous parlent d'une autre existence plus digne d'être vécue, d'un joyau enchâssé dans la banalité du quotidien, d'une éternité conçue comme fin des relations temporelles."

Promeneur égaré sur cette planète, je termine en citant Job " Oui, j'ai parlé, sans comprendre, de merveilles qui me dépassent et que j'ignore" ...

04 février 2007

Planète Blog...

Dessin aux pastels, 1979...

Quand j’ai créé ma petite entreprise sur la planète Blog, je n’avais aucune idée de son devenir. J’écrivais dans mon premier bulletin à usage externe : “je deviens un point, un signe,.. pas grand chose et c'est déjà un peu désespérant, le silence de ces espaces infinis ... rencontrer d'autres particules égarées ?”
Ma petite affaire a fructifié. Quelques proches, visiteurs bienveillants et puis des rencontres inattendues, insoupçonnées.

Dans ce monde parallèle, espace social dématérialisé, personne ne peut imposer son autorité, les relations fonctionnent sur un pied d’égalité. Les rencontres sont libres, consenties. Elles sont virtuelles mais les liens qu’elles tissent sont réels. On s’attache, on attend, on sourit. Chaque signe est un instant de plaisir, léger. Absence de calcul, de mise à l’épreuve.
Etrangeté qui rend possible la reconnaissance d’une certaine communauté. Rapport sans rapport, partage sans partage, communauté sans communauté.
Cette relation totalement neutre, qui loin d’empêcher toute communication nous rapporte l’un à l’autre. Elle ne survient que dans une temporalité entre parenthèses.
Rapport incommensurable de l’un à l’autre, elle est le dehors relié dans sa rupture et son inaccessibilité. Elle est désir de franchir une distance infinie et irréductible, la proximité des lointains et le contact de ce qui n’atteint pas.

Réconciliant l’égalité, la liberté, la fraternité, la planète Blog réalise la république sublimée....

Remarque:
Plusieurs micro-événements ont motivé ce billet: un blogueur qui quitte la planète et retourne sur Terre, des blogueurs qui se mettent en retrait, un commentaire inattendu sur mon premier post...
(Cette analyse doit beaucoup aux écrits de Maurice Blanchot sur ...l'amitié.)

02 février 2007

Histoire à dormir debout...

Quand les filles étaient des enfants, il fallait être imaginatif pour transformer les promenades dominicales en parcours ludiques et attractifs. Leur tentation se matérialisait plutôt en une protestation grise voire une franche et noire hostilité. Mais, impossible de déroger, il fallait encore et toujours emprunter les mêmes chemins sur lesquels on s'extasiait avec une constance qui frisait la provocation.
Aussi, pour agrémenter le trajet, très répétitif, nous nous racontions des histoires, nos lectures ou notre imagination projetaient sur les sentiers des personnages qui nous accompagnaient.
En relisant un petit carnet, j'ai retrouvé le compte rendu d'une de ces journées et l'histoire que je leur avais inventée. C'est l'histoire d'Eléonore, une petite fille empruntée par des extraterrestres gazeux et sphériques... et qui ne dut sa survie et son sauvetage qu'à sa force mentale. Elle s'était aperçue qu'elle avait la capacité de transformer leurs corps gazeux. Après de longues et douloureuses aventures, elle avait réussi à changer chaque entité bulle en cube dense... En assemblant les cubes, elle avait construit une sorte d'échelle qu'elle put utiliser pour redescendre sur terre...

En rangeant, j'ai aussi retrouvé un dessin que j'avais fait pour leur chambre...



Je me demande ce qui pouvait bien me passer par la tête à cette époque.

30 janvier 2007

La valise de son père...


Le livre est noir, le nom est rouge, le château est blanc...

Orhan Pamuk a reçu le prix Nobel de littérature le 7 décembre 2006. Dans son discours, il parle de l'écriture. J'ai lu et relu le passage suivant... (Le sens du titre ne se dévoile qu'à la lecture de l'intégralité du texte)

"Pour moi, être écrivain, c'est découvrir patiemment, au fil des années, la seconde personne, cachée, qui vit en nous, et un monde qui sécrète notre seconde vie : l'écriture m'évoque en premier lieu, non pas les romans, la poésie, la tradition littéraire, mais l'homme qui, enfermé dans une chambre, se replie sur lui-même, seul avec ses mots, et jette, ce faisant, les fondations d'un nouveau monde... En écrivant, il peut fumer, boire du café ou du thé... jeter un coup d'oeil dehors... ou bien sur un mur aveugle. Il peut écrire de la poésie, du théâtre ou comme moi des romans. Toutes ces variations sont secondaires par rapport à l'acte essentiel de s'asseoir à une table et de se plonger en soi-même. Ecrire, c'est traduire en mots ce regard intérieur, passer à l'intérieur de soi, et jouir du bonheur d'explorer patiemment, et obstinément, un monde nouveau"...


Ce désengagement du monde réel pour construire un vrai monde reste un mystère, silencieux, indicible...

Remarque:
Dans un texte retrouvé dans sa malle, Pessoa soulève un coin du voile: "Chaque homme qui existe est Moi. La société toute entière est moi. Je suis mes meilleurs amis et mes plus sûrs ennemis. Le reste - ce qui est en dehors - depuis les plaines et les montagnes jusqu'aux gens... - tout cela n'est que paysage..."

27 janvier 2007

Origine...


Un de mes derniers dessins, à la fin des années quatre-vingt-dix. Après avoir été gaucher, j'avais décidé de dessiner de la main droite... ce changement avait rendu le trait à la fois plus simple, direct mais aussi retenu, hésitant, gauche...


A l'âge de dix ans, ma vie a changé. Avant, c'était le paradis, la lumière, tout se passait dehors. Après, l'univers s'est brusquement rétréci, je me suis retrouvé dedans, à l'ombre. Enfermé, il n'y a pas grand chose à faire quand on a dix ou onze ans, on sent bien que tout se passe ailleurs. Alors, j'ai ouvert le dictionnaire Larousse encyclopédique en trois volumes rangé dans ma chambre, et j'ai tourné les pages. Je ne sais pas pourquoi je m'arrêtais sur les autoportraits, Raphaël adolescent, Rembrandt adulte, Léonard de Vincy, âgé... Ces images minuscules m'ont attrapé et restent encore, quarante ans plus tard, gravées, intactes. J'ai commencé à les reproduire, à les agrandir, et petit à petit, sans m'en rendre compte, je suis devenu accroché au dessin...

Pendant trente ans, j'ai pensé que la peinture était ma grande affaire. Et puis, un jour, l'absolue nécessité s'est dissipée, la page s'est tournée, le dictionnaire refermé. Les mots avaient pris le dessus et je suis ressorti, libéré...

24 janvier 2007

Tri sélectif...

"... hier, j'ai subi une anesthésie... dans la pièce où j'attendais mon tour, patientait aussi un couple. Je n'aime pas trop engager la conversation mais la promiscuité, tous les deux torse nu attendant le même examen, encourageait le contact. Un bavardage inconséquent s'est installé, le médecin, l'inquiétude... Quand le mari fut parti, crispé, la discussion se détendit et, avec l'inconnue, nous nous confiâmes nos peines et soucis respectifs. Elle me raconta la mort récente de son père, la souffrance quand sa mère, alors qu'elle avait dix-sept ans, perdit la raison à la suite d'une attaque, le jeune frère et la soeur dont elle s'occupa, le travail, institutrice, les années jetées à la va vite, la souffrance, le soulagement de la psychothérapie, puis son mari revint, la bouche pâteuse et le verbe hésitant, les banalités aussi... ce fut mon tour, la rapidité de l'anesthésie, l'absence, le repos dans la chambre, la visite du médecin et le retour à la case maison. Ce soir, j'apprends que cette femme a un lien avec moi. Elle est l'amie d'une amie qui a vécu cette nuit un cauchemar épouvantable. Animatrice d'un comité de lecture à V., elle rentrait en voiture chez elle quand des masses d'eaux furieuses et boueuses ont envahi la chaussée, noyant le moteur et l'obligeant à abandonner son véhicule, à se protéger derrière un muret et à hurler à la mort. Deux passants ont d'abord essayé de venir à sa rescousse, vainement. Ce sont les pompiers, prévenus par des appels désespérés, qui l'ont finalement encordée, tractée et sauvée..."


Sans doute troublé par cette hisoire, j'avais éprouvé la nécessité de la consigner dans un carnet, le rouge, le 23 septembre 1993.
En recherchant dans les archives de La Provence, on retrouverait les détails de cette crue et dans les registres de la clinique l'identité des personnages.

Remarque 1
J'ai relu cette année ce carnet... Je n'ai gardé aucun souvenir de cette histoire. Rien.

Remarque 2
La mémoire est sélective, on le sait. Elle semble fonctionner comme nous le faisons avec nos déchets. Chaque soir, nous vidons la poubelle. Une grande décharge recueille tous ces faits et gestes et les abandonne au temps, grand dévoreur. Certains jettent beaucoup, d'autres peu, nous nous attachons à des vieilles choses, il y a des encombrants, tout un fouillis inutile qu'on accumule, souvent en vrac et puis certaines images, sons et odeurs qui collent au fond de la boîte. De ce qui a été vécu dans la journée reste peu, nos sociétés produisent une quantité impressionnante de déchets.

Pour organiser le tri, il faut lire atentivement ce document :
(pour y voir clair, il faut cliquer...)

21 janvier 2007

Récréation...


Nous étions tranquillement en train d'étudier les invasions barbares, la chute de l'empire romain, les fenêtres étaient ouvertes, il faisait doux, la classe était calme, sereine, il régnait, comme on dit, un climat propice aux apprentissages. J'étais assis avec un groupe d'élèves, la récréation, pour des raisons d'emploi du temps, avait été raccourcie, certains s'en étaient plaint. Un élève prit la parole et me demanda poliment : " c'était comment les récréations avant?" sous entendu quand j'étais enfant. Les autres ont arrêté spontanément leur occupation et, dans le silence, j'ai répondu : " c'était comme maintenant, toujours trop court, on courait dans tous les sens, on tapait dans un ballon et on embêtait les filles..." Ils ont souri ou ri , puis nous sommes retournés, sans aucun effort, au début du Moyen Age...

18 janvier 2007

Chanson de gestes...

Les mains participent à la conversation. Elles accompagnent le discours, parfois même s'y substituent...

Rome, avril 2005

Dans notre babillage quotidien, le sens des mots compterait pour 7% seulement dans la compréhension du message, l'intonation pour 38%, et les gestes pour... 55% . Lorsque nous parlons, nous sommes d'abord vus, puis entendus, et enfin, éventuellement, compris.
En ouvrant la boîte des gestes d’accompagnement du langage, on découvre tout de suite les mains et les doigts. Chaque doigt est autonome pour donner des informations et compléter les mots. Dès l'enfance, les adultes ont le souci d’enseigner les bons gestes, ceux qui sauvent et d’écarter les autres. Ainsi leçons de mots et de gestes se mélangent dans l'apprentissage que subit le petit d’homme.
Un fondement de l’ordre réside dans la maîtrise de l’index, qui en fonction de son orientation et de sa position va rapidement faciliter l’échange avec les autres terriens. Pointé vers le désir pour dire ”je veux”, tourné vigoureusement contre la tempe pour diagnostiquer un état mental confus, agité de gauche à droite, essuie-glaces pour dire non, plié régulièrement d’avant en arrière, main fermée, bras plié, pour faire venir à soi, secoué de profil pour signaler un risque de sanction important si le comportement n’est pas réévalué et rendu plus conforme ... et surtout, levé vers le ciel pour dire “j’ai quelque chose à vous dire, écoutez-moi."

Bref, arrivé à l'école, il faut vite apprendre à lever le doigt pour être autorisé à parler. L’intérêt n’apparaît pas toujours à l’enseigné qui, à deux ans juste passés découvre les premières joies et peines de la vie collective avec une maîtrise de la langue discutable et une motricité approximative. Le maître, plié sur une micro chaise doit faire face, maintenir assis, échapper à la cacophonie, au brouhaha et mettre de l’ordre dans la remuante assemblée. Mission remarquable, au milieu des pleurs, des plaintes, cris et exigences à interpréter. Le monde du tout petit d’homme est "Maintenant". Le désir est variable mais il ne supporte pas le délai. Une fois les miniterriens assis et calmés, les inquiétudes consolées, l’apprentissage peut commencer. Il faut être rapide et efficace, capter, montrer, faire et refaire, vite. Moment crucial du vivre ensemble, le lever du doigt. Une image, un objet apporté, un prétexte, une branche d’automne. Poser une question et attendre, et puis expliquer que pour s'entendre, il faut s'écouter, alors qu'on va être bien sage et qu'on va lever le doigt pour montrer qu'on veut parler. Voilà. D’accord? Alors, on montre le lever d’index, celui là, et on fait faire pareil, oui, c’est ça, non pas celui là, oui vers le haut, pas vers le bas, non, toi arrête, oui ben toi tu vas t'asseoir là-bas parce que non tu ne le mords pas, oui mais non tu prendras ton doudou tout à l'heure, bon, allez on tape dans les petites mains, voilà et toi qu'est-ce que tu as, pourquoi tu pleures, ah, alors, toi, pourquoi tu l'as poussé, viens t'asseoir là... Passer à la phase deux. Alors, on reprend, non tu restes assis là, oui, elle est jolie ta robe, oui, toi aussi, ah, d'accord , c'est mami qui t'a acheté ce pantalon, bon, rester calme, petit pouce es-tu là, chut, je dors, petit pouce, es-tu là, oui, je sors, encore, alors cette branche, elle vient d'où ? Non, on lève le doigt, non pas celui là, oui toi, c'est très bien, c'est comme ça, alors, puisqu'il a bien levé le doigt, il va répondre à la question. Dis nous pour la branche. " et ben, moi, maman elle s'appelle Jackie" ... Un petit silence intérieur, un instant de flottement, vite compensé par la vision suivante : sur le banc, immobile, silencieux, bras tendu vers le ciel, un mini-extraterrestre lève la main, poing serré, auriculaire dressé...

Quelques années plus tard, après avoir assimilé toutes les comptines, les us et coutumes scolaires, l’enfant choisira de présenter son pouce à ses camarades pour dire, pause, je souffle... En grandissant, il découvrira aussi l’agressivité contenue dans le doigt du milieu. Adolescent intrépide et révolté, il agitera son pouce pour faire du chemin et brandira son poing sur les barricades. Devenu adulte, il continuera de remuer les mains pour échanger des informations, des explications...
Enfin, quand les mots manqueront, l’index, le premier doigt pour parler, reviendra sur le devant de la scène pour demander, en pointant l’objet convoité...