16 décembre 2006

Gagne-pain...

Comme tout le monde, je travaille de temps en temps.
La société qui organise mon activité est très exigeante. Il faut reconnaître que mon boulot est très particulier: je suis dresseur de personnes de petite taille.
Je ne peux pas vous tout vous dévoiler, je suis soumis à un devoir de réserve mais je prends le risque de diffuser quelques informations sur cette étrange profession.
L'espace dans lequel j'évolue est clos, constitué à la fois de bâtiments froids et d'espaces extérieurs non aménagés. Les petites gens dont j'ai la charge sont déposées chaque matin par leurs propriétaires. Nous organisons alors une surveillance rapprochée même si le grillage qui entoure le local réduit la possibilité de fuite. Au signal sonore, les petites personnes sont rangées par taille et conduites dans des salles où commence véritablement le dressage. L'objectif principal est de les maintenir assises et silencieuses pendant plusieurs heures de suite. Il faut des années à un bon dresseur pour obtenir des résultats probants, mais jamais définitivement acquis. Il ne faudrait toutefois pas croire que notre activité s'arrête là. On leur apprend aussi d'autres tours, pas toujours spectaculaires mais pourtant très difficiles. Les éléments les plus prometteurs arrivent à faire le silence et, simultanément, à lever un doigt, tout en restant assis. Le dresseur donne alors une récompense à la personne de petite taille. Plus la personne est petite et plus le tour est difficile. Comme le dressage dure des années, on doit maîtriser plusieurs techniques. Ainsi, un bon dresseur pose des questions dont il connaît la réponse et n'interroge jamais celui qui connaît aussi la réponse.
Le sujet étant souvent têtu, retors et remuant, il est parfois nécessaire d’utiliser la manière forte. Mais le métier se perd et ce n’est plus ce que c’était. Aujourd’hui la torture se pratique en cachette, les châtiments corporels n'étant plus autorisés. Alors, pour compenser, certains utilisent les espaces disponibles: coins, murs, couloirs... Un jour, j'ai rencontré un imaginatif qui faisait allonger à même le sol les réfractaires. Pour faciliter l'acquisition du silence et de la station assise, il existe des techniques modernes qui servent de prétexte et facilitent l'adaptation. L'écriture sur des cahiers est un moyen efficace de détourner l'attention des gens de petite taille. Quand le cahier est terminé, on le jette. Depuis quelques années, on peut même le recycler... Quand on n'a pas de cahier disponible, on fait juste les lignes, n’importe quel texte fait l’affaire et si on n’a rien sous la main, une seule ligne répétée à l’infini est tout aussi efficace. Une fois, j'ai vu un dresseur, un peu dépassé, qui avait écarté une personne de petite taille dans une salle isolée et lui avait donné une conjugaison (terme professionnel) à effectuer. Sur la feuille, à moitié déchirée, d'une écriture imprécise, on pouvait lire: je dois me taire, tu dois me taire, il doit me taire, nous devons me taire, vous devez me taire, ils doivent me taire... Sur le bulletin, on allait bientôt pouvoir noter: en progrès.