01 mai 2007

Absence...



Chacun s'est retrouvé, un jour ou l'autre, prisonnier d'une conversation qui l'engourdissait au point, pour les plus sensibles, de basculer dans l'inconscience, d'en tomber littéralement. Un lieu clos, une réunion, un repas "de famille", des conventions à respecter, personne n'échappe continuellement à ces passages obligés.

Pris dans ce piège, la meilleure manière de survivre, c'est de participer, de s'engager. Il arrive, pourtant, que les sujets abordés nous éloignent irrésistiblement du centre d'intérêt. Sans s'en apercevoir, on se retrouve à la périphérie, dans une zone indéfinie, uniformément grise. On voit encore les lèvres s'agiter, les sons parcourent bien l'air alentour, mais le sens a disparu. L'esprit se solidifie, la matière souple et légère est remplacée par du plomb, un caillou. L'inertie l'emporte, le malaise grandit et l'air commence à manquer.

Les interminables séances de photos (l'avancement des travaux, le périple en péniche...) et les discussions sur les inconnus (le fils du cousin Jean, le boucher du village...), sont propices à ce genre d'expérience. On est coincé, attaché, à cette table, sur ce canapé, assourdi et abattu, mobilisant nos dernières ressources pour faire bonne figure. Impossible de s'évader, de penser à autre chose, une miette d'éducation nous retient toujours. Trouver la force de décocher un sourire, poser encore une question. Il faut résister, tenir.

Une fois, jeune et inexpérimenté, dès le repas achevé, à peine "passé au salon", je me suis assoupi, fuite irrépressible dans un sommeil bienheureux. Le réveil fut cruel. J'étais toujours là, sur ce maudit fauteuil, entouré de regards fort désapprobateurs, sans compter la volée de reproches sur le chemin du retour. Enfin, cette fois là, j'avais gagné, nous n'avons plus été invités.

L'autre jour, j'ai de nouveau ressenti ces affres, la conversation naviguait à perte de vue sur des océans d'inconsistance, je me suis retité dans ma cabine, j'ai fermé les écoutilles, j'ai plongé dans la mare et je suis retourné avec vous ... ça n'a pas duré, on m'a vu pendant que je faisais tranquillement la planche, les yeux tournés vers l'horizon, ... Je suis vite remonté à la surface, j'ai repris du rôti, et quand on m'a dit, "t'étais où ?", j'ai répondu, "c'était délicieux" et la conversation a repris son train-train épuisant, comme si de rien n'était...