10 octobre 2006

Lettre et l'être ...

J'aime les raisonnements négatifs, qui soustraient à la réalité pour saisir le manque; ainsi il m’arrive d’imaginer un monde sans romans, poèmes, musique et peinture... reste l’ effroi, le froid...

Sans les mots, le monde devient muet, absurde...
Mais tous n'ont pas le même statut, la plupart servent juste à papoter avec le quotidien et bidouiller avec la technique ... seuls certains saississent et entaillent l'espace et le temps, dévoilant des micro-déchirures obscures ou lumineuses...

Le relevé des fragments suivants est purement fortuit. J'ouvre au hasard mes vieux carnets, certains ont vingt ans et je pioche. Devant ces textes, ce n'est pas le temps qui est suspendu, mais l'être, mis à nu par le mot...

Rapprochements
D'abord l'austère Char habillé de gris et légèrement penché suivi par le désespéré Cioran, en bleu, bien droit.
Un mur inexorable, le mur qui se rabat derrière soi, où nous entendons sangloter un captif privé d'air; le visiteur conciliant d'un de nos jours négligés.
Ce matin, après avoir entendu un astronome parler de milliards de soleils, j'ai renoncé à faire ma toilette: à quoi bon se laver encore?
La quantité de fragments me déchire. Et debout, se tient la torture.
Ces idées qui survolent l'espace et qui, tout à coup, se heurtent aux parois du crâne...
Il semble que l'on naît toujours à mi-chemin du commencement et de la fin du monde. Nous grandissons en révolte ouverte presque aussi furieusement contre ce qui nous entraîne que contre ce qui nous retient.
L'illusion enfante et soutient le monde; on ne la détruit pas sans le détruire. C'est ce que je fais chaque jour. Opération apparemment inefficace, puisqu'il me faut la recommencer le lendemain.
L'intensité est silencieuse. Son image ne l'est pas. J'aime ce qui m'éblouit puis accentue l'obscur à l'intérieur de moi.
Après tout, je n'ai pas perdu mon temps, moi aussi je me suis trémoussé, comme tout un chacun, dans cet univers aberrant.
Nous contenons de l'insecte dans les parcelles les plus endurantes de nous-mêmes! Suppléant qui réussit où nous échouons.
Cette foule d'ancêtres qui se lamentent dans mon sang... Par respect pour leurs défaites, je m'abaisse aux soupirs.