18 janvier 2007

Chanson de gestes...

Les mains participent à la conversation. Elles accompagnent le discours, parfois même s'y substituent...

Rome, avril 2005

Dans notre babillage quotidien, le sens des mots compterait pour 7% seulement dans la compréhension du message, l'intonation pour 38%, et les gestes pour... 55% . Lorsque nous parlons, nous sommes d'abord vus, puis entendus, et enfin, éventuellement, compris.
En ouvrant la boîte des gestes d’accompagnement du langage, on découvre tout de suite les mains et les doigts. Chaque doigt est autonome pour donner des informations et compléter les mots. Dès l'enfance, les adultes ont le souci d’enseigner les bons gestes, ceux qui sauvent et d’écarter les autres. Ainsi leçons de mots et de gestes se mélangent dans l'apprentissage que subit le petit d’homme.
Un fondement de l’ordre réside dans la maîtrise de l’index, qui en fonction de son orientation et de sa position va rapidement faciliter l’échange avec les autres terriens. Pointé vers le désir pour dire ”je veux”, tourné vigoureusement contre la tempe pour diagnostiquer un état mental confus, agité de gauche à droite, essuie-glaces pour dire non, plié régulièrement d’avant en arrière, main fermée, bras plié, pour faire venir à soi, secoué de profil pour signaler un risque de sanction important si le comportement n’est pas réévalué et rendu plus conforme ... et surtout, levé vers le ciel pour dire “j’ai quelque chose à vous dire, écoutez-moi."

Bref, arrivé à l'école, il faut vite apprendre à lever le doigt pour être autorisé à parler. L’intérêt n’apparaît pas toujours à l’enseigné qui, à deux ans juste passés découvre les premières joies et peines de la vie collective avec une maîtrise de la langue discutable et une motricité approximative. Le maître, plié sur une micro chaise doit faire face, maintenir assis, échapper à la cacophonie, au brouhaha et mettre de l’ordre dans la remuante assemblée. Mission remarquable, au milieu des pleurs, des plaintes, cris et exigences à interpréter. Le monde du tout petit d’homme est "Maintenant". Le désir est variable mais il ne supporte pas le délai. Une fois les miniterriens assis et calmés, les inquiétudes consolées, l’apprentissage peut commencer. Il faut être rapide et efficace, capter, montrer, faire et refaire, vite. Moment crucial du vivre ensemble, le lever du doigt. Une image, un objet apporté, un prétexte, une branche d’automne. Poser une question et attendre, et puis expliquer que pour s'entendre, il faut s'écouter, alors qu'on va être bien sage et qu'on va lever le doigt pour montrer qu'on veut parler. Voilà. D’accord? Alors, on montre le lever d’index, celui là, et on fait faire pareil, oui, c’est ça, non pas celui là, oui vers le haut, pas vers le bas, non, toi arrête, oui ben toi tu vas t'asseoir là-bas parce que non tu ne le mords pas, oui mais non tu prendras ton doudou tout à l'heure, bon, allez on tape dans les petites mains, voilà et toi qu'est-ce que tu as, pourquoi tu pleures, ah, alors, toi, pourquoi tu l'as poussé, viens t'asseoir là... Passer à la phase deux. Alors, on reprend, non tu restes assis là, oui, elle est jolie ta robe, oui, toi aussi, ah, d'accord , c'est mami qui t'a acheté ce pantalon, bon, rester calme, petit pouce es-tu là, chut, je dors, petit pouce, es-tu là, oui, je sors, encore, alors cette branche, elle vient d'où ? Non, on lève le doigt, non pas celui là, oui toi, c'est très bien, c'est comme ça, alors, puisqu'il a bien levé le doigt, il va répondre à la question. Dis nous pour la branche. " et ben, moi, maman elle s'appelle Jackie" ... Un petit silence intérieur, un instant de flottement, vite compensé par la vision suivante : sur le banc, immobile, silencieux, bras tendu vers le ciel, un mini-extraterrestre lève la main, poing serré, auriculaire dressé...

Quelques années plus tard, après avoir assimilé toutes les comptines, les us et coutumes scolaires, l’enfant choisira de présenter son pouce à ses camarades pour dire, pause, je souffle... En grandissant, il découvrira aussi l’agressivité contenue dans le doigt du milieu. Adolescent intrépide et révolté, il agitera son pouce pour faire du chemin et brandira son poing sur les barricades. Devenu adulte, il continuera de remuer les mains pour échanger des informations, des explications...
Enfin, quand les mots manqueront, l’index, le premier doigt pour parler, reviendra sur le devant de la scène pour demander, en pointant l’objet convoité...