10 février 2007

Planète Blog, acte III scène 2


Il arrivait, posait son cartable sur le coffre. Il le ramenait tous les soirs par habitude, mais il ne l'ouvrait jamais.
Il enlevait sa veste, la jetait sur le fauteuil où elle resterait jusqu'au matin, puis il se lavait soigneusement les mains, ouvrait nonchalamment son courrier, rangeait les factures dans un gros dossier où elles attendraient la dernière échéance, jetait les envelopppes après les avoir froissées et réduites en boules compactes puis il se dirigeait vers son bureau sans éclairer la pièce. Il s'installait sur la chaise pivotante après avoir réajusté les deux pieds instables, se frottait inconsciemment les mains, débloquait l'écran, l'ouvrait, appuyait sur "on" et attendait. Son corps commençait déjà à le quitter... Dans quelques secondes, quand la lumière bleutée aurait fait son apparition, il l'oublierait.
Le fond d'écran, les icônes. Il pouvait commencer. Il cliqua. La machine s'affairait, on entendait un léger ronron, les fenêtres s'ouvraient et se superposaient. Il aimait voir tourner la petite roue qui indiquait la recherche des nouveaux messages... et puis le bip suivi de l'affichage. Comme sa vue avait baissé, il devait s'approcher pour déchiffrer le nombre de messages reçus. Un clic et un coup d'oeil.. Il effaça les publicités et consulta les autres messages. Il y avait des commentaires sur le blog. Il attendrait d'être sur le site pour les découvrir. Pour l'instant, il choisissait la musique qui allait l'envelopper pendant cette nouvelle séance. Il lui restait à consulter le compteur, un pincement d'impatience pendant le chargement, et l'affichage de la statistique, implacable. Depuis quelques semaines, le nombre de visiteurs avait crû de manière importante, presque doublé. Cet indicateur le rassurait, une douce chaleur l'envahissait. Il se sentait bien. Il pouvait enfin ouvrir le blog, lire les commentaires qui avaient été déposés, par les habitués, les anonymes et les nouveaux venus. Cette rencontre, toujours imprévisible, l'enchantait. Il lisait attentivement chaque phrase, la faisait tourner pour en savourer le sens. Avant de répondre, il préférait lire les autres blogs, ceux qu'il avait selectionnés jour après jour. Ils étaient devenus familiers, leur mise en page, leur manière d'aborder les questions, leurs habitudes langagières. Quand un texte faisait écho, il prenait le temps de chercher quelques mots pour dire qu'il était passé, qu'il avait apprécié. Au début, il avait trouvé ça difficile, d'écrire en aveugle et puis à force de citations recopiées, il avait pris une certaine confiance et maintenant, il préférait laisser ses propres mots. Ensuite, il fermait les fenêtres, ouvrait la page de ses textes, et, entouré de carnets, de notes, de livres et du dictionnaire, il se mettait au travail. Quand il jugeait qu'il avait terminé, il jetait un dernier coup d'oeil à son courrier, rangeait ses affaires, éteignait l'ordinateur, allumait la lumière, récupérait son corps et retournait dans l'autre monde...