27 février 2007

Les irréductibles...

Les éclaireurs ont résisté à la tentation. Ils se sont assis sur le rebord du monde pour regarder le spectacle des hommes. Marc Aurèle et Wittgenstein ont une autre nature. Ils sont restés indifférents à ce qui fait courir les autres hommes, le pouvoir, la richesse et la gloire. Ils ont tous les dons, tous les talents, pourtant ils vont renoncer pour vivre comme ils l’entendent, dans l’humilité et l’austérité. Courageux, déterminés, ils seront généreux et simples. Leur oeuvre et leur vie, intimement liées, s'entrexpriment, reflétant la même exigence éthique et la même intensité intellectuelle.

Wittgenstein, né à Vienne en 1889, part en Angleterre à 18 ans et s’inscrit à la section de mécanique de l’Université de Manchester. Il consacre toutes ses activités à la recherche aéronautique, puis délaisse l’invention pratique pour l’étude des mathématiques pures. Il a vingt ans. Après un séjour en Allemagne, il étudie la philosophie à Cambridge avant de séjourner une année en Norvège dans une cabane qu’il a construite. C’est un musicien averti, très bon clarinettiste, il est attiré pendant une période par la carrière de chef d’orchestre. Il étudie aussi la psychologie expérimentale. En 1914, il s’engage dans l‘armée autrichienne, sert dans la marine, puis devenu officier, il prend part aux combats; en 1918, il est fait prisonnier et passe pluisieurs mois dans un camp, au sud de Italie. A son retour, il se débarrasse de la fortune héritée à la mort de son père et vit avec une extrème frugalité. Il n’a pas encore 30 ans. Célébré pour ses textes philosophiques, il refuse les titres et les honneurs et devient instituteur. Il enseigne pendant six ans dans des villages en Basse Autriche avant de s’ employer à des travaux de jardinage dans un monastère. Il les interrompt pour se consacrer, pendant deux ans, à la construction, dans les moindres détails, d’une grande maison destinée à l’une de ses soeurs. Il utilise aussi, à cette période, l’atelier d’un ami, pour sculpter. Puis, il visite l’URSS, apprend le russe, et se réinstalle pour une année dans sa cabane en Norvège. Il a aussi repris son projet philosophique et il est nommé titulaire da la chaire de philososphie de Cambridge. Quand la deuxième guerre mondiale éclate, il s’engage dans le service de santé de l'armée britannique, il est d’abord brancardier, puis affecté dans un laboratoire. En 1947, il démissionne de l’université de Cambridge et s’isole du monde. Il s’installe dans le nord de l’Irlande, dans une cabane proche de la mer...
Mais l’histoire la plus étonnante qu’on raconte sur lui est la suivante... Wittgenstein et Hitler étaient en classe ensemble, une photo en témoigne. Il est même probable que l’antisémitisme d’Hitler se soit développé en réaction à la personnalité de Wittgenstein... Pendant la deuxième guerre mondiale, Wittgenstein aurait aussi été un agent recruteur au service des russes. Le Juif qui, le premier, a implanté en Hitler sa judéophobie, serait le même Juif que celui qui renversa le Reich en faisant passer les techniques de décryptage de codes et de chiffres entre les mains de l'armée rouge...

L'oeuvre philosophique de Wittgenstein est considérable. Elle défait les noeuds et éclaire les obscurités du langage. Elle bouleverse la compréhension que nous avons de l'extériorité, de l'intériorité et de leur relation. Ses derniers mots furent : « Dites-leur que j'ai eu une vie merveilleuse. »

Marc Aurèle a écrit un carnet rassemblant ses pensées. Les romains, en écrivant, ne visaient pas la lumière d'un non-dit, mais la reprise méditative d'une sagesse consistant à s'atteindre, à vivre avec soi. Voici les pensées que l'Empereur notait, pour lui-même, il y a presque deux mille ans...

"Le petit métier que tu as appris, aime-le et donne-lui tout ton acquiescement. Le reste de ta vie, passe-le en homme qui, de toute son âme, compte sur les Dieux pour tout ce qui le concerne, et qui ne fait ni le tyran ni l'esclave d'aucun des hommes."

"Réfléchis souvent à la liaison de toutes choses dans le monde et à la relation des unes avec les autres. En un certain sens, elles sont toutes tressées les unes avec les autres, et toutes, par suite, sont amies les unes avec les autres. L'une, en effet, s'enchaîne à l'autre, à cause du mouvement ordonné, du souffle commun et de l'unité de la substance"...