14 février 2007

Planète blog, acte III scène 3

Foule 17, 1984

J'ai ouvert la boîte et je ne m'en sors pas. Hier soir, débordé par le flot de questions soulevées, j'écrivais " Je bouillonne mais votre absence rend la tâche surhumaine... Nous sommes un livre ouvert qui s'écrit à plusieurs têtes."

Afin d'y voir un peu plus clair, je dépose ici ce que nous avons mis, les uns et les autres. Je pose en vrac, j'ai bien essayé de faire des rangements organisés, le moi, le toi, le soi, le multimoi, le nous, le vous, le vous et moi, l'autre, la présence et l'absence, le "il y a" et le "je suis", le réel et le virtuel... J'ai aussi tenté une présentation par champ, mais le résultat est le même, il y a des morceaux partout, des trucs qui restent dans un coin, d'autres qu'il faudrait mettre dans chaque catégorie...

“Etranges liens d'une toile tissée de plusieurs sens uniques, qui toutefois parviennent à se croiser quelquefois.Mysterieuses attaches qui ressemblent à de l'amitié parfois. Une amitié sans implication pourtant...Toute une contradiction.”
“Derrière nos écrans, chacun de nous est susceptible d'être en lien avec, d'aller à la rencontre de gens de tous horizons, que le monde réel, notre environnement, nos lieux de vie, nos modes de vie et pensée, n'auraient pas permis. A l'heure où nos libertés individuelles se réduisent à une peau de chagrin, où les espaces d'expressions sont trop souvent torpillés, c'est peut être cela qu'apporte internet/blog/my space: des espaces d'expressions,libres, où l'on se fout de votre pedigree, de votre CV, de vos appartenances familiales, de votre capital bourdieusien. Cela rend l'émergence de communautés planétaires possible, et affranchie des transports physiques.”

"Je ne crois pas à la virtualité de cet espace qui permet des rapports sans rapports etc. car il y a un précédent de taille auquel nous accordons la plus grande réalité : le langage même. Non pas le langage comme simple outil, mais comme espace même de notre penser. Le langage FAIT espace est notre toute première agora. Qu'il faille s'en réjouir ET le déplorer c'est une autre histoire. Gageons cependant que celui-ci d'espace (blogosphère) nous dégage justement un peu du langage-espace hiérarchisé et nous "compétitifiant" les uns les autres, au profit d'un langage plus horizontal, moins fonctionnel, plus propice à réintroduire entre nous des sentiments naturels liés au dialogue.”

“Oui le monde des bloggeurs est virtuel et pourtant infiniment réel, profond, les amitiés voire les amours y sont souvent fortes, le fait sans doute de ne pas se connaître physiquement y incitent avec une certaine dose de fantasmes ...”

“"Alors outre les blogs d’inventaires et les blogs militants, les seuls blogs qui célèbrent l’Agora sont peut-être ceux nourris de notes éphémères, ou encore ceux où les auteurs déposent simplement ce qu’ils ont personnellement à dire. " Cette note qui dévoile une nouvelle Agora m'a marqué. Cette spécificité, dans le rapport d'égalité qu'elle instaure entre des individus libres, restaure un espace disparu, celui de la discussion, cette parole non figée par l'écrit.
Par delà cette conquête, nous découvrons la nature des relations qui pouvaient alors exister et que nous avons oubliées. Cette relation a tous les critères de l'amitié, réconciliant l'espace privé et l'espace public, ethique et politique ne faisant plus qu'un. Je me sens proche de vous dans un rapport que je ne connaissais pas. Vous êtes entrés dans mon existence et vous êtes devenus importants mais nous ne nous devons rien.”

“ J'aime ces rencontres virtuelles, qui ne remplacent pas les "réélles", mais qui les complètent. C’est une autre façon de communiquer, différente de la tradition epistolaire, car rapide, presque immédiate, et variée. La blogosphère est un véritable monde qui se sustitue à celui auquel on s'était habitué. Tout est concentré ici.”

“ lAttention à l'enfermement, même si c'est dans un monde aussi "ouvert" que la blogosphère,reste vigilant...”

“Je n'échange pas car je ne vous parle pas. Je prends, je ne donne pas. Les commentaires, au contraire du blog lui même, me semblent bien trop souvent egotistes (est-ce le bon sens de ce mot? centrés sur la seule personne de l'écrivant écrivain qui se met en scène et ne souhaite pas partager autre chose qu'une façade. Triste pensée ou réalité? “

“Dans ce monde, ondoyait une infinité de phrases solitaires qui s’y regardaient attentives et s’y croisaient parfois sans se voir. Des phrases empreintes d’une humanité qui s’emparait et réchauffait sans repis un espace technoïde trop longtemps gelé. Des mots qui s’entassaient parfois, jusqu'à former des montagnes de contradictions aux sommets inatteignables. J’y entrai, dans ce monde, muni d’un petit sac rempli de lettres, de petites lettres rien qu’à moi, conservées depuis lors avec beaucoup d’attention, dans le doux secret des jours intérieurs. Je les éparpillai alors, à droite à gauche parmi celles des autres qui étaient arrivés avant moi. Je regardai mes lettres qui formèrent des mots à leurs tours et je restai là, immobile, interrogatif et inquiet, à les observer. Et puis je vis, je vis mes mots qui s’échappèrent, qui se faufilèrent au milieu des autres, qui se mirent à tournoyer en farandoles jusqu'à s’éparpiller partout en territoire inconnu. J’esquissai le sourire, celui de l’enfant qui libère l’oiseau, et j’attendis secrètement qu’ils reviennent…Ils ne revinrent pas bien sûr. Mais je reçu en retour des mots venus d’ailleurs, de douces paroles à boire, de celles qu’on sirote le soir entre amis aux comptoirs des petits cafés, de celles qu’on susurre à l’oreille aussi, de celles qui vous questionnent, qui vous secoue doucement l’épaule et vous encourage. Je pris les paroles, les plongeai furtivement dans mon sac, désormais vide de mots, je regardai le ciel et repris mon chemin.
C’est un monde aux milliers de mots…qui pourrait bien vous tirer des larmes.”

“J'aime beaucoup la dimension "rencontre" des blogs. Notre animalité physique en étant exclue, reste un rapport qui se créé (ou pas) entre des êtres géographiquement éloignés (ou non). Avec certaines et certains se noue un lien de proximité- intellectuelle, artistique, affective- désincarné, mais réél.
c'est étrange et fascinant.”

“ "Accoucher de soi-même à plusieurs" : tel est, à mon sens, l'amitié que nous nous faisons les uns les autres sur la blogosphère, pour peu qu'on y consente personnellement. C'est cet aspect maïeutique de nos relations dites "virtuelles" qui joue le rôle à la fois de garde-fou (contre des fantasmes aussi dévastateurs qu'infondés) et de garant de l'objectivité (du bien-fondé) de nos dires. Ici, notre existence est incertaine...”

“Sommes-nous présent ou absent ? réel ou imaginaire? sujet ou objet ?...
C'est, je crois, ce caractère indécidable qui exerce cette fascination et ces projections. Il y a de la rugosité dans la blogosphère...”

“On s'interroge, on se touche, on se gratte la tête, on s'épouille les uns les autres, sans même jamais se connaître...
Ici, on peut tout se dire, et chaque mot se greffe à nous pour nous pousser... vers quoi ?
Un grand monde qu'on rêve être le nôtre ?
Se retenir à nous, se retenir à soi...”

“Ces rencontres et ces échanges ressemblent à ceux que l'on aurait dans des musées et des bibliothèques où la parole serait encouragée. Assemblées sans statut, membres sans condition.”

“Ce qui me questionne, pratiquant moi-même le blog depuis peu, c'est la virtualité de la rencontre. "Sommes-nous sujet ou objet ? ". Les deux probablement, toujours, ici comme dans la réalité. Mais en définitive qu'est-ce qui est le plus réel ? Ces faux-semblants dont nous usons pour tenir les masques sociaux ? Ou ces échanges à distance et en intériorité ? “

“Notre statut, notre réalité, notre identité sont remis en question par cette virtualité, et cela nous l'acceptons. Mais le plus surprenant c'est que ces questions se transposent dans le monde que l'on appelait réalité. Ce reflet nous révèle à nous-mêmes et nous montre ce que nous sommes... en réalité.
Le fait d'être nombreux à penser des choses si proches, si loin des conversations quotidiennes est encore plus étonnant.”

“et à la fin retourner dans l'autre monde .. quel est donc le vrai ?? “

“..avec moins de limites entre les "deux mondes".

“En soi tous les mondes qu'ils soient subjectif ou objectif ou ??? ... se cotoient au gré de nos fantaisies, naturellement !”

“Fantaisie et nécessité, nous jouons d'inscriptions dans des logiques de vies alternatives et plurielles qui s'actualisent ou restent rêvées...”

“Il y a 32 ans maintenant, Roland Jaccard voyait déjà que contrairement aux sociétés archaïques, "dans nos sociétés modernes, l'autre est réduit à une pure fonction instrumentale; nous le côtoyons, mais nous ne le rencontrons jamais." Il définissait l'exil intérieur comme étant "ce retrait de la réalité chaude, vibrante, humaine, directe; et le repli sur soi; la fuite dans l'imaginaire". Dans son ouvrage "L'exil intérieur. Schizoïdie et civisation" il essayait de répondre à la question de savoir par quel processus la sphère du privé nous a conduit à cette schizoïdie généralisée.
Cela considéré, la question aujourd'hui est de savoir si cet écran de 17 pouces va enfin nous guérir ou nous donner le coup de grâce.”

“Se rencontrer à nouveau, dialoguer à nouveau : recréer ici l'espace originel de la philosophie, c'est-à-dire pour nous, véritable gageure aujourd'hui : un espace plus fort que la philosophie actuelle même !
A mon sens c'est possible, mais les conditions à remplir pour de véritables rencontres nécessitent de vaincre bien des désirs et autres sales habitudes...”

“Attention, trop bloguer conduit à un dédoublement de la personnalité . Bon nombre de blogueurs sont devenus des amis et quelques amis sont devenus des blogueurs donc pour moi la frontière entre les deux mondes a été effacée depuis longtemps...”

Voilà le travail...